Histoire

XIIIE SIÈCLE

L’empire de Gengis Khan dans toute sa grandeur

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2023 - 1009 mots

NANTES

Retardée par la censure chinoise, l’exposition sur le conquérant mongol offre une perspective politique et économique inédite sur une figure d’ordinaire vue par le prisme militaire. La scénographie n’est cependant pas à la hauteur.

Portrait de Gengis Khan. © Chinggis Khaan National Museum / Ulaanbaatar
Portrait de Gengis Khan.
© Chinggis Khaan National Museum / Ulaanbaatar

Nantes. Pour introduire une exposition sur Gengis Khan (1162-1227), on s’attend peut-être à voir une tenue de combattant, une représentation de cavalier, ou même une scène de conquête témoignant de la violence des combats imposés par la horde du dirigeant mongol. À Nantes, ce sont deux objets inattendus qui ouvrent l’exposition sous-titrée « Comment les Mongols ont changé le monde » : un échange diplomatique, entre Philippe le Bel et l’Ilkhan Arghun, conquérant mongol de la Perse, et une chasuble d’or, venue du trésor de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, mais tissé par les artisans du Grand Khan au XIIIe siècle. Connexions diplomatiques et commerciales sont immédiatement mises en exergue dans le préambule de cette exposition, annonçant un parcours qui ne se focalise pas sur l’histoire militaire, mais cherche à comprendre la constitution et le fonctionnement de cet empire gigantesque.

Une autre idée reçue est immédiatement battue en brèche, grâce à d’exceptionnels objets : celle d’un empire mongol sorti de nulle part, et déferlant sur le monde. L’exposition raccroche au contraire l’histoire des conquêtes de Gengis Khan au temps très long de la Mongolie, reconstruisant une frise chronologique menant jusqu’au XIIIe siècle indiquant, de la plaine à mammouths jusqu’aux empires équestres médiévaux, la constante de ces civilisations et l’utilisation de la ressource animale pour s’adapter aux difficultés du milieu. Un objet exceptionnel évoque ainsi l’importance centrale des cervidés avant l’arrivée du cheval dans les steppes mongoles : « l’épée des cieux », une arme cérémonielle datant du IIe millénaire avant notre ère, dont le pommeau est orné d’un cervidé.

Des découvertes archéologiques récentes

Les empires Xiongnu (à partir de 250 avant notre ère) et Türk (VIIe siècle) sont ensuite présentés comme les grands États précurseurs de l’empire mongol, des siècles avant son avènement. Des témoignages archéologiques permettent d’entrevoir des sociétés fortement structurées, intégrées à des réseaux d’échanges internationaux, disposant de savoir-faire artisanaux exceptionnels notamment dans le domaine de l’orfèvrerie. Dans l’évocation de ces proto-empires mongols, comme pour le suivant, l’exposition profite de son double commissariat : « l’homme de terrain », Jean-Paul Desroches, qui a excavé de ses propres mains certains des trésors présentés ici, et l’historienne Marie Favereau, qui a fortement renouvelé l’approche du sujet avec son ouvrage La Horde, publié en début d’année (éd. Perrin). Le parcours incarne ainsi en trois dimensions chacun des arguments historiques avancés.

La qualité et le caractère inédit des objets présentés répondent à l’ambition de proposer un discours historique novateur sur les Mongols. Pour décrire le continuum artistique de l’Asie centrale que Gengis Khan laisse en héritage, des chefs-d’œuvre de la brique émaillée islamique – venus du Louvre ou de Sèvres – sont réunis dans une vitrine. Des découvertes archéologiques toutes récentes ponctuent également le parcours, comme un petit carquois orné, ou un ensemble Lune-Soleil orfévré : des objets porteurs d’une grande valeur symbolique, issus de tombes. L’ensemble du parcours est également rythmé par de petites miniatures, la plupart venues de la Stadtbibliothek de Berlin, sortant rarement de leurs réserves. Ce sont des témoignages indirects précieux de la vie de cour sous l’empire mongol, qui tranchent avec l’image d’Épinal purement militaire.

Cette histoire militaire est toutefois bien évoquée, en une salle, ainsi que par un dispositif numérique en table bien conçu, retraçant les grandes étapes de l’histoire militaire mongole. Les thématiques abordées offrent une peinture complète du fonctionnement de cet empire singulier : l’organisation politique, la tolérance religieuse, le rôle des femmes dans le pouvoir, la construction de villes par ce peuple nomade, les échanges commerciaux. En puisant dans la riche culture matérielle de cet empire, l’exposition parvient à brosser un portrait plus juste que celui qu’aurait offert une collection d’étriers et de pointes de flèches.

Une présentation médiocre

Le contenu stimulant intellectuellement, porté par un choix pointu et ambitieux d’objets, est hélas desservi par la scénographie du parcours, pensée pour être transportée, et constituée par de grandes toiles affichant le plus souvent des photographies de paysages de steppes. Les cartes ou textes imprimés sur ces toiles sont réduits à une portion congrue, et peu lisibles, noyés dans des éléments décoratifs plats et dispensables. Malgré quelques vitrines bien construites au premier étage, où le musée a recyclé les éléments de sa précédente exposition, l’omniprésence des reproductions photographiques et des toiles tendues aplatit visuellement l’ensemble. Si l’on perçoit la signature du Musée d’histoire de Nantes dans le discours proposé (qui concurrence les romans nationaux et propose une histoire connectée), la scénographie manque, elle, de personnalité.

À la censure chinoise succède le partenariat avec la République de Mongolie  


Géopolitique. En octobre 2020 (*), le château des ducs de Bretagne annonçait mettre fin à son partenariat avec la Chine dans la préparation de son exposition consacrée à Gengis Khan : Pékin avait tendance à s’immiscer dans le contenu du futur parcours, avec des exigences intenables pour le musée nantais. Trois ans plus tard, l’exposition ouvre enfin, avec un nouveau partenaire, la République de Mongolie, et pour le directeur du musée, Bertrand Guillet, ce changement a été bénéfique : « L’exposition s’est beaucoup enrichie sur la notion de grand échange, au départ nous étions vraiment concentrés sur la constitution de l’empire. » Si le gouvernement et la diplomatie mongols se sont directement impliqués dans ce projet, pas d’interférence cette fois dans le travail scientifique : les commissaires et le soft power mongol sont sur la même longueur d’onde, en promouvant la notion de paix. Avec ce soutien étatique et la contribution de grands collectionneurs locaux, le parcours a également gagné des pièces majeures. Bientôt, ce sera au tour de la France d’envoyer quelques objets de choix au Chinggis Khaan National Museum d’Oulan-Bator, inauguré il y a un an.

 

Sindbad Hammache

Erratum - Mercredi 8 novembre 2023

(*) Contrairement à ce que nous avions écrit dans le JdA n°620, le château des ducs de Bretagne a annoncé la fin de son partenariat avec la Chine en octobre et non en février 2020.

Gengis Khan. Comment les Mongols ont changé le monde,
jusqu’au 5 mai 2024, Château des ducs de Bretagne, Musée d’histoire de Nantes, 4, place Marc-Elder, 44000 Nantes.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : L’empire de Gengis Khan dans toute sa grandeur

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