Art contemporain

Ana Mendieta, le corps de l’œuvre

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 26 juillet 2023 - 508 mots

MONTPELLIER

L’artiste cubano-américaine, et son langage entre sculpture et performance, bénéficie d’une belle exposition au Mo.Co Panacée.

Montpellier (Hérault). « Pionnière de nombreux mouvements à leurs débuts : body art, performance, land art, vidéo, voire écoféminisme », écrivent Vincent Honoré, directeur des expositions au Mo.Co, et Rahmouna Boutayeb, curatrice, co-commissaires de l’exposition d’Ana Mendieta (1948-1985). Au centre des multiples activités de cette artiste née à La Havane (morte à New York), on retrouve toujours le corps – qu’elle maltraite parfois –, en l’occurrence le sien. Si le Jeu de paume, à Paris, a pu montrer en 2018-2019 la riche production cinématographique de Mendieta, le mérite de l’exposition de Montpellier est de mettre en évidence, avec une centaine d’œuvres, ce que l’on peut appeler la dimension tactile de cette production plastique. Empreintes, traces, moulages, sculptures, reliefs… : le corps, le plus souvent nu, fait office de signature. À preuve, le terme « silueta » (silhouette), qu’elle a choisi pour titre de cette longue série engagée à partir de 1973 après un séjour au Mexique, série dans laquelle elle décline ses traits sur différents supports. Il ne s’agit cependant pas d’autoportraits, car cette image archétypale renvoie à une typologie de formes féminines « génériques ». Ces figures anthropomorphes, grossièrement élaborées, ces traces corporelles sont façonnées à partir de divers matériaux : fleurs, branches d’arbre, mousse ou poudre à canon. Cherchant, selon ses propres termes, un moyen de « retourner à la source maternelle», l’artiste communie avec le sable, la boue ou la glaise comme pour faire corps avec la nature, dont elle n’est qu’une créature parmi d’autres.

Une certaine tendance mystique alimente d’autres performances, proches de rituels dont la violence est souvent accentuée par la présence du sang. Cette rage cède la place à une sensualité tangible qui se dégage de photographies montrant Mendieta se rouler par terre ou immergée dans l’eau.

Son travail change avec les sculptures rupestres réalisées à son retour à Cuba, plus précisément à Jaruco, en 1980 – car Mendieta a été forcée de quitter son pays de naissance en 1961, à l’âge de 12 ans. Creusées dans les rochers, ces figures archaïques, ces déesses renvoient aux croyances et aux divinités caribéennes ou préhispaniques, autrement dit à l’enfance déracinée de Mendieta. Parfois accompagnées de l’empreinte de la main de l’artiste – une évocation de l’art pariétal et des civilisations anciennes –, ces œuvres substituent le passé au présent, la mise à distance au contact direct. En d’autres termes, le fondement de cette pratique se situe dans une quête des origines.

Le parcours, chronologique et très complet, commence par quelques tableaux que l’artiste a peints à ses débuts. Étonnamment, ces tableaux aux couleurs saturées et contrastées, oscillant entre expressionnisme et symbolisme, n’ont jamais été montrés au public. De nombreuses photographies, souvent les seules traces des œuvres, détruites, mais aussi deux reconstitutions spectaculaires de ses travaux en extérieur, ainsi que des dessins à la gouache et à l’acrylique, permettent aux spectateurs de plonger dans cet univers inclassable. Si la mort d’Ana Mendieta reste une énigme (son mari, le célèbre artiste minimaliste Carl Andre, fut inculpé de meurtre, avant d’être acquitté), son œuvre, bouleversante, reste bien vivante.

Ana Mendieta. Aux commencements,
jusqu’au 10 septembre, Mo.Co Panacée, 14, rue de L’École-de-Pharmacie, 34000 Montpellier.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Ana Mendieta, le corps de l’œuvre

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