Architecture - Biennale

Venise, archi « libre »

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 27 juillet 2018 - 1144 mots

VENISE / ITALIE

Thème de la Biennale d’architecture de Venise, le Freespace (espace libre) séduit l’architecture internationale. Une liberté différente selon les cultures.

Dorte Mandrup, <em>Icefjord Centre</em>, projet pour le Groenland.
Dorte Mandrup, Icefjord Centre, projet pour le Groenland.
Photo Francesco Galli

La 16e Biennale internationale d’architecture de Venise, qui se déroule jusqu’au 25 novembre, affiche cette année un thème on ne peut plus vaste : « Freespace », autrement dit « espace libre ». Il a été choisi par les deux commissaires nommées pour cette édition, Yvonne Farrell et Shelley McNamara, architectes de l’agence Grafton Architects, à Dublin. Pour définir ladite notion, le duo a carrément écrit un manifeste qui réunit une multiplicité de définitions dont, entre autres : qualité de l’espace lui-même, générosité d’esprit et sens de l’humanisme, aptitude de l’architecture à produire des « cadeaux » spatiaux supplémentaires et gratuits pour ceux qui l’utilisent ou à être un espace d’opportunité, démocratique, non programmé et libre pour des utilisations non encore définies.

Pour illustrer leur propos, Yvonne Farrell et Shelley McNamara ont évoqué moult exemples. Ainsi en est-il de la maison Can Lis, à Majorque, érigée en 1973 par le Danois Jørn Utzon, père de l’Opéra de Sydney, devant laquelle un simple banc en béton et céramique, moulé parfaitement selon l’empreinte d’un corps humain, apporte confort et plaisir. « Spatialement, c’est comme un “mot” de bienvenue », estiment Farrell et McNamara. Idem à Milan, avec Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti qui, à l’entrée de l’immeuble du 24 via Quadronno, ont planté une assise accueillante. Tandis qu’à São Paulo, Lina Bo Bardi, en surélevant son Musée d’art moderne, crée un belvédère sur la ville, afin que les citoyens puissent l’admirer au mieux. Bref, selon les deux commissaires : « L’architecture a la capacité d’être l’une des disciplines les plus optimistes, parce qu’elle est notre incarnation construite. »

Cette édition 2018, qui réunit pas moins d’une centaine de participants, toutes sections confondues pour l’exposition-phare « Freescape », auxquels s’ajoutent les soixante-trois pavillons nationaux – sans compter, en outre, la multitude d’expositions « off » disséminées dans la ville –, regorge de pistes, à l’échelle micro ou macro : bâtiments anciens intelligemment reconvertis, édifices oubliés puis revisités et revivifiés (à l’instar du projet du Pavillon français), habitations aux typologies transformables, besoins d’infrastructures traduits en équipements civiques et publics, etc. La liste est évidemment longue.

Se rapprocher de la nature

Pour pallier « l’architecture générique et globale » – termes honnis par Farrell et McNamara –, l’accent est mis à l’envi sur le contexte et les conditions climatiques locales, en particulier lorsqu’elles sont extrêmes. Ainsi en est-il de cette nouvelle école pour jeunes femmes édifiée par Case Design sur le campus de l’Avasara Academy, près de Lavale (Inde), une série de structures en béton, verre et bambou, simples mais efficaces. De même en Chine, avec ce travail de DNA dispersé dans sept villages du district de Songyang, une collection de projets relativement modestes, mais d’une grande tenue esthétique, tel ce théâtre, réalisé entièrement en bambou dans le village de Hengkeng. Par ailleurs, un plus grand rapprochement avec la nature est invoqué. En témoignent le Centre des visiteurs du Brooklyn Botanic Garden des Américains Weiss/Manfredi, actuellement en cours de réalisation à New York, lequel colle au plus près des courbes du terrain, ou l’Icefjord Centre signé par le Danois Dorte Mandrup, au Groenland, qui tente, autant que faire se peut, de s’acclimater à la « nature superpuissante » du lieu.

Si, avec les tours, on avait l’habitude de voir se multiplier un même plan, un vent frais semble désormais souffler sur ladite typologie ; pour preuve, les quatorze étages du Roy and Diana Vagelos Education Center, à New York, du trio américain Diller/Scofidio + Renfro. Livrés en 2016, ils bousculent spatialement chaque niveau à l’intérieur de l’enveloppe, pour ne former quasiment qu’un seul volume se déployant de bas en haut. Pour son projet de Torre Cube, à Guadalajara (Mexique), l’Espagnole Carme Pinós laisse carrément vide le centre de l’édifice, façon cour intérieure verticale, histoire, entre autres, de se protéger du soleil de plomb mexicain.

Marcher sur les toits

Désormais, la liberté réside peut-être aussi dans le fait de pouvoir marcher sur le toit… Cette opportunité, que les architectes ont plaisir à développer depuis quelques années, pourrait s’amplifier. Ainsi, au Brésil, l’architecte Pedro Varella (gru.a) n’hésite pas à reprocher à feu Oscar Niemeyer de ne pas avoir ouvert au public le toit de son Musée d’art contemporain de Niterói, de manière à en faire un splendide belvédère sur la baie de Guanabara, face à Rio. De son côté, l’agence nippone Tezuka Architects propose, au contraire, avec le Fuji Kindergarten, au Japon, d’utiliser la totalité de la toiture de cette école pour en faire une cour supplémentaire, et assurément « aérienne ».

Pour le Pavillon finlandais, la cause est entendue : « Les ultimes “espaces libres” sont les… bibliothèques publiques, lieux d’apprentissage ouverts à tous et gratuitement. » Depuis Alvar Aalto, le pays s’en est fait une spécialité. Ainsi peut-on voir, entre autres, la bibliothèque de Kuhmo, par Jyrki Tasa, inspirée par le film de Jean Vigo L’Atalante, et la future bibliothèque centrale d’Helsinki, signée ALA Architects, qui devrait ouvrir en décembre. Même son de cloche en Chine, avec la Seashore Library signée Vector Architects. Imaginée à l’origine pour 75 lecteurs, elle ne désemplit plus – afflux quotidien : trois mille personnes, preuve d’« une soif intense pour les nourritures culturelles et spirituelles », dixit Farrell et McNamara. Assurément une bonne nouvelle, a fortiori pour les architectes.
 

« Freespace, Biennale d’architecture de Venise »
jusqu’au 25 novembre 2018. Giardini et Arsenal, Venise, Italie. Du mardi au dimanche, de 10 h à 18 h, à l’Arsenal, les vendredis et samedis jusqu’à 20 h. Tarifs : 15 à 25 €. Commissaires : Yvonne Farrell et Shelley McNamara. www.labiennale.org

Le coup de poucede Rolex aux jeunes architectes

Partenaire exclusif depuis trois éditions de la Biennale internationale d’architecture de Venise, le fabricant de montres helvétique concocte, depuis 2002, un programme philanthropique intitulé « Mentor et protégé », qui permet à un praticien confirmé d’œuvrer avec l’un de ses confrères émergents sur un projet commun. L’architecture étant devenue discipline distincte en 2012, le cinquième « couple » dudit programme, pour la période 2018-2019, est formé de l’Anglais David Adjaye, mentor, et de la Nigérienne Mariam Kamara, protégée. Lors de l’ouverture de la Biennale, le duo a dévoilé son projet : un nouvel édifice public, à Niamey (Niger), en faveur d’une institution artistique. Pour les deux architectes, « il est essentiel que le bâtiment s’appuie sur des besoins locaux ».Le tandem précédent (cru 2016-2017), l’Anglais David Chipperfield (le mentor) et le Suisse Simon Kretz (le protégé), avait, lui, planché sur « un meilleur usage de l’espace » dans le quartier de Bishopsgate Goodsyard, à Londres. Ce travail fait l’objet d’une exposition présentée durant la Biennale, dans un pavillon dédié, et d’un livre intitulé On Planning – A Thought Experiment, lequel « explore comment une approche plus holistique du développement urbain peut créer une ville qui promeut le bien-être de ses citoyens à travers une plus grande inclusivité et une pensée innovante ». L’ouvrage a également été remis aux autorités londoniennes.
Christian Simenc

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°714 du 1 juillet 2018, avec le titre suivant : Venise, archi "libre"

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