Art contemporain

Oppenheim en berne

Le Musée d’art moderne a réalisé une exposition trop anecdotique de l’artiste disparu

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2011 - 655 mots

SAINT-ÉTIENNE

Les artistes ne sont pas toujours les meilleurs lecteurs de leur propre travail, en termes d’exposition ou de mise en scène.

C’est le sentiment qui prévaut à la visite de la monographie que consacre le Musée d’art moderne de Saint-Étienne-Métropole à Dennis Oppenheim, subitement disparu en janvier dernier. Dans les cartons depuis trois ans et, aux dires de l’équipe du musée, conçue en étroite collaboration avec l’artiste avant son décès, la présentation surprend à tous points de vue. Par son échelle en premier lieu. Six œuvres, c’est bien peu, même si elles sont d’envergure. Les plus beaux morceaux prennent ici place sur la vaste esplanade devant le musée et dans la grande salle centrale. À l’extérieur, Black (1991-2007) interroge d’emblée le lien entre la qualité de l’image perçue et sa réception mentale. Les six pots et cafetières en fonte, surdimensionnés, car mesurant chacun près de 2 mètres de hauteur, se posent là tels les éléments d’un décor. Une scène géante figée, où la présence du corps pourtant nécessaire à l’acte théâtral est contrariée. 

Dans le beau volume de la grande salle, une confrontation réussie s’opère entre deux travaux majeurs. De scène et de théâtre humain, il est encore question avec Theme for a Major Hit (1974), célèbre rassemblement d’une vingtaine de pantins, tous à l’effigie de l’artiste. Au-delà de la mise en scène, ou de la perte de substance de l’individu dans le collectif, pointe un questionnement plus psychologique relatif à la capacité de résistance. Il est, en face, renforcé par les mots « black » et « white » prononcés par deux pantins noir et blanc installés aux extrémités d’une immense table, paroles qui finissent en se superposant par devenir incompréhensibles (Table Piece, 1975).
Ces liens appuyés au théâtre rappellent au connaisseur le passé d’acteur et de performeur de Dennis Oppenheim, de même que son incursion dans les champs de l’art corporel et du « land art », rappels nécessaires à la compréhension de ses œuvres. Le novice, lui, n’en saura rien.  

Une scénographie illisible
N’aurait-il pas été possible de consacrer à l’artiste un peu plus d’espace, au lieu de saucissonner le musée en pas moins de sept expositions contiguës, dont le visiteur ne comprend d’ailleurs pas toujours immédiatement qu’il est passé de l’une à l’autre ?
En outre, s’il est clair que le propos n’a jamais été celui d’une rétrospective, le parti pris retenu ne cesse de surprendre. D’après le directeur du musée et commissaire de l’exposition, Lóránd Hegyi, l’intention était de faire s’enchaîner trois espaces distincts, aux ambiances et luminosités différentes. À l’intérieur donc, une métaphore assez sombre de la condition humaine et de la vulnérabilité physique et psychologique insiste sur une ironie aux relents macabres, perceptibles aussi dans Aging (1974) : un alignement de figurines en cire qui, progressivement, sont dégradées. À cet ensemble succède l’espace de transition du hall d’accueil du musée, où sont installées les Splash Buildings (2010), structures colorées de hauteur variable coiffées de globes et de boules de couleurs évoquant une explosion joyeuse. Quoique volontairement improbables, ces pièces ne devraient pas passer à la postérité… À l’extérieur enfin, l’ouverture, la lumière, la libération avec les objets de Black mais aussi les Smokestack Buildings (2009), six tours surmontées de néons en serpentin environnées de fumée ; une œuvre dont la poésie s’exprime surtout à la nuit tombée !

Bancale, la distinction opérée est absolument illisible pour le public, car pour le visiteur non initié à l’art d’Oppenheim, rien ne reliera ces différents moments d’une exposition qui apparaît comme un rendez-vous manqué. Un hommage plus pensé aurait pu lui être rendu, qui aurait rattaché l’œuvre à son contexte. Cette exposition donne d’un artiste essentiel de la seconde moitié du XXe siècle une vision très anecdotique. C’est là le plus gênant. 

DENNIS OPPENHEIM
Jusqu’au 21 août, Musée d’art moderne de Saint-Étienne-Métropole, La Terrasse, rue Fernand-Léger, 42270 Saint-Priest-en-Jarez, tél. 04 77 79 52 52, www.mam-st-etienne.fr, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue à paraître.

Dennis Oppenheim

Commissaire : Lóránd Hegyi, directeur du Musée d’art moderne de Saint-Étienne

Nombre d’œuvres : 6

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Oppenheim en berne

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