Photographie

Le trans-humanisme au présent

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 21 janvier 2019 - 457 mots

PARIS

Photographie -  Dans l’imaginaire collectif, le transhumanisme se conjugue au futur. Ses promesses et ses menaces (d’éternité, de cryogénisation, d’eugénisme, etc.) sont encore à venir, et la rupture anthropologique qu’il ne cesse d’annoncer demeure un horizon.

Publié en octobre dernier aux éditions Actes Sud, H+ transhumanisme(s) bat en brèche cette idée. Cette enquête photographique au long cours de Matthieu Gafsou souligne au contraire l’actualité, sinon l’historicité d’une telle idéologie. Le photographe suisse y convoque certes l’imagerie attendue dans pareil sujet : une souris bioluminescente, des cuves où reposent des corps et des cerveaux cryogénisés, des portraits de cyborgs et de biohackers s’étant implanté toutes sortes de puces et de prothèses. Mais l’ouvrage rassemble aussi des objets familiers, banals, et pour certains très éloignés a priori de l’imaginaire transhumaniste. Ici, un IPhone, là, un pacemaker. Ailleurs, une fiole d’Omega 3, un stérilet, une couveuse, un appareil dentaire, et même le portrait d’une centenaire devant sa tasse de café quotidienne. De l’aveu même de Matthieu Gafsou, cet inventaire procède d’abord d’une volonté de sonder le présent, d’arrêter le regard sur ce que la course effrénée de l’innovation ne permet plus vraiment de saisir. À savoir : que la conception transhumaniste d’un corps-machine façonne déjà très largement notre société. Et pour cause : elle s’inscrit dans l’histoire des techniques et s’enracine dans le rationalisme – ce que souligne d’ailleurs, en orée du livre, la photographie d’un corset conçu au XVIIIe siècle par le médecin Jean-André Venel pour traiter la scoliose. Pour le photographe, il s’agit ainsi de souligner la diversité des formes contemporaines que revêt le transhumanisme. Suggérée dès le titre via un hypothétique pluriel, cette variété d’approches se donne à lire dans l’organisation thématique de l’ouvrage (de « prothèses » à « posthumain »), dans la dispersion de mots clés au gré des chapitres successifs, mais aussi dans les différents régimes d’images mobilisés. Tantôt cliniques, tantôt quasi publicitaires, tantôt « fabriquées », presque abstraites, tantôt empruntées à l’imagerie médicale ou au genre du portrait, les œuvres de Matthieu Gafsou puisent dans un très large éventail de registres documentaires, et jouent parfois la mise en abyme pour mieux inscrire le geste photographique au cœur de son sujet. La variété des images réunies dans H+ permet alors d’embrasser l’ambiguïté profonde du transhumanisme, et de flouter la frontière qui sépare, dans les discours contemporains, l’homme réparé de l’homme augmenté. De l’un à l’autre, Matthieu Gafsou suggère qu’il n’y a pas de rupture, mais un continuum. À cet égard, l’ouvrage rappelle combien la définition que donne l’OMS de la santé est équivoque : celle-ci y est en effet décrite depuis 1946 comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Une brèche pour tous les chantres du posthumain…

Matthieu Gafsou, David Le Breton,
H+ transhumanisme(s),
Actes Sud, 39 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°720 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Le trans-humanisme au présent

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