Paroles d'artistes

Erik Samakh « Notre technologie est très primaire »

Avec une installation sonore envoûtante donnant la sensation que des voix féminines proviennent des ifs (Des voix, Les ifs, 2013), et des Pierres de Lucioles (2013) devenant lumineuses à la nuit tombée, Érik Samakh a pris ses quartiers dans les jardins du Musée Rodin, à Paris.

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 septembre 2013 - 739 mots

Les créations sonores et lumineuses d'Erik Samakh ont pris possession des jardins du Musée Rodin à Paris

Ce projet en deux parties constitue une réponse spécifique au contexte du musée, mais est-il aussi en réponse à Rodin lui-même ?
Oui évidemment, c’est une réponse mais aussi un clin d’œil. L’installation sonore a été conçue en m’inspirant finalement des techniques de Rodin et de sa manière d’utiliser les corps. Plutôt que d’utiliser des sons d’animaux comme je le fais la plupart du temps, je me suis dit que j’avais de la matière première sur place avec le timbre des voix des femmes travaillant au musée. Ma spécialité étant le son, je n’allais évidemment pas devenir sculpteur et entrer en rivalité avec Rodin ; c’était un combat perdu d’avance. Cela a également été le prétexte à une belle rencontre avec l’équipe du musée, d’autant plus agréable que tout le monde semblait plutôt content de ce qui se passait.

À propos de matière sonore, on vous connaît en effet surtout comme allant prélever dans la nature des sons que vous retravaillez. Ici la matière est humaine, avec des rires, des soupirs, des murmures, des fragments de voix… S’agit-il pour vous d’une rupture, d’une continuité ou d’un développement ?
En réalité, j’ai déjà travaillé avec la voix humaine, même beaucoup plus souvent qu’on le croit ou qu’on le sait, puisque j’ai souvent utilisé ma voix pour imiter des sons d’animaux lorsqu’ils me manquaient, et que j’ai fait aussi des installations où il n’y avait que ma voix. Il s’agit donc d’une continuité. Mais c’est la première fois que j’utilise la voix des autres. Finalement cela reste la même chose car nous sommes à Paris et que je me sers de ce que je trouve dans le milieu environnant, donc ici dans le paysage sonore du jardin au sens large et du Musée Rodin. Ce qui est intéressant, c’est que je n’ai pas eu ni à trafiquer ni à filtrer ni à modifier les fréquences des voix enregistrées ; il faut croire que lorsqu’on vit dans la même ville, nous sommes réglés sur les mêmes fréquences. J’ai très peu dirigé les protagonistes, avec toutefois quelques contraintes car il ne pouvait pas y avoir de mots ni d’onomatopées. C’est d’ailleurs pour cela que l’on entend des rires, des murmures, des « hum », etc. Je ne voulais pas entrer dans la chanson, où le verbe impose un sens fort au public.

L’expérience n’est pas la même le jour que la nuit, d’un point de vue sonore, mais aussi visuel avec la luminosité des Pierres de Lucioles. Avez-vous pensé cette différence lorsque vous avez élaboré votre projet ?
Oui et c’était une nouvelle expérience car c’est la première fois que j’avais deux grands blocs qui se croisent dans l’espace, dans le même jardin. Et nous avons été frappés de constater, par moments, l’impression que les sons provenaient des pierres. Je pense que c’est simplement le fait qu’il y ait une présence incongrue dans le jardin qui nous attache psychologiquement aux pierres, et celui que notre esprit soit orienté vers elles nous fait interpreter alors les sons qui se déplacent comme venant des pierres. Quant à la différence jour et nuit, je l’ai bien entendu intégrée. Je sais depuis longtemps que les sons diffusés la nuit sont beaucoup plus précis et évidents, et nous sommes, nous aussi, plus attentifs et concentrés. Je crois qu’on a alors une sensation plus intense et que la spatialisation est plus efficace la nuit que le jour.

Y a-t-il dans ce dispositif un hiatus volontairement entretenu entre l’aspect naturel de la pierre et l’aspect technique de ces petites machineries lumineuses ?
Oui et j’y tiens énormément. Le côté primitif des pierres ne doit pas exclure les techniques d’aujourd’hui. Mes lucioles se rechargent grâce à des capteurs solaires et émettent leur rythmique lumineuse à la tombée du jour. Ce mélange et cette prétendue opposition pour moi ne s’opposent pas du tout. Ces technologies sont très en retard sur la grande sophistication de la nature, comme peut l’être un granit par exemple. Ces boules sont naturelles, je ne les ai pas taillées. C’est notre technologie qui est en réalité très primaire, pas le naturel. Le jour où un drone volera comme un papillon…

ÉRIK SAMAKH

Jusqu’au 29 septembre, Musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 01 44 18 61 10, www.musee-rodin.fr, tlj sauf lundi 10h-17h45, le mercredi 10h-23h. Catalogue co-éd Musée Rodin/Argol, 48 p., 15 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°396 du 6 septembre 2013, avec le titre suivant : Erik Samakh « Notre technologie est très primaire »

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