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Les Musées anglais voient leur indépendance remise en cause

Le Parti conservateur tente depuis quelque temps de reprendre le contrôle de la nomination des directeurs de musées nationaux.

Laura Pye, directrice des Musées nationaux de Liverpool, et Nicholas Cullinan nommé récemment directeur du British Museum © National Museums Liverpool © Chris Floyd
Laura Pye, directrice des Musées nationaux de Liverpool, et Nicholas Cullinan nommé récemment directeur du British Museum.
© National Museums Liverpool
© Chris Floyd

Londres. Lors de la sélection au printemps dernier du nouveau directeur ou de la nouvelle directrice du British Museum, George Osborne, le président de l’institution, aurait refusé de présenter deux choix au Premier ministre, comme celui-ci en aurait fait la demande. Selon la presse britannique, l’ancien ministre des Finances de David Cameron aurait craint que la démarche ne remette en cause l’indépendance du musée national. Le British Museum a refusé de confirmer ou d’infirmer ceci, mais la polémique a de quoi surprendre, vue de France, où les derniers présidents de la République interviennent dans toutes les nominations.

C’est que les musées publics nationaux fonctionnent sous un régime particulier en Angleterre. « Ils ont presque tous été créés par des lois du Parlement, rappelle Simon Knell, professeur en muséologie contemporaine à l’université de Leicester. Comme tout autre organisme public, ils sont soumis au principe d’indépendance [“arm’s lenght principle”, en anglais]. » Le principe consiste à garantir que le gouvernement, issu d’un parti politique, n’ait pas le contrôle du fonctionnement de ces institutions culturelles. « Elles ne doivent pas être les “pions” des ministres, par exemple, et doivent pouvoir fonctionner comme des entités séparées », précise Fiona Candlin, professeure en muséologie de l’université de Londres Birkbeck.

Ce principe s’applique de différentes manières en fonction des structures. « Le directeur de la Tate est sélectionné par le conseil d’administration à l’issue d’une procédure standard de candidatures et d’entretiens, détaille Samuel Jones, le chef du bureau des directeurs de la Tate. Leur choix est ensuite approuvé par le Premier ministre avant d’être annoncé. »

Quinze musées nationaux

Le principe est similaire pour le British Museum. « Dans le cas de notre nouveau directeur, Nicholas Cullinan, il a été nommé avec l’approbation unanime des administrateurs et du numéro 10 [Downing Street]», confirme un représentant de l’institution, sans revenir sur la polémique. Conformément à la loi de 1963 sur le British Museum, c’est au conseil d’administration de superviser la stratégie du musée mise en œuvre par le directeur. Il incombe à ce dernier d’assurer la conservation et l’accès à la collection au nom de la nation. Le conseil d’administration, quant à lui, est composé de vingt-cinq membres, dont un administrateur nommé par le roi, quinze nommés par le Premier ministre et cinq par les administrateurs eux-mêmes. Les quatre administrateurs restants sont nommés par le ministre de la Culture, des Médias et du Sport (DCMS) sur proposition des présidents de la Royal Academy, de la British Academy, de la Society of Antiquaries of London et de la Royal Society. Le président est quant à lui élu par le conseil d’administration parmi ses membres.

Au total, dix des quinze musées nationaux anglais fonctionnent de façon similaire et requièrent l’approbation du Premier ministre pour le choix des directeurs. Cette procédure concerne ainsi la National Portrait Gallery, le Science Museum, les Imperial War Museums, la National Gallery, le Natural History Museum, les Royal Museums Greenwich, le Victoria and Albert Museum et la Wallace Collection.

Les cinq derniers musées nationaux subventionnés par le DCMS ne dépendent pas de l’approbation du Premier ministre. « C’est le ministre de la Culture qui approuve la nomination, par le conseil d’administration, du directeur général des Royal Armouries et du directeur des National Museums Liverpool », précise un porte-parole du gouvernement. La procédure est la même pour la nomination du directeur général du Museum of the Home ainsi que pour le Horniman Museum (collections anthropologiques), à la nuance près que le ministre des Finances a aussi son mot à dire parfois sur le choix du directeur de cette dernière institution. Enfin, la direction du Sir John Soane’s Museum est choisie par le conseil d’administration sans qu’il y ait besoin d’une approbation gouvernementale. En général, les gouvernements respectent ce principe d’indépendance et il n’existe pas de procédure officielle à suivre en cas de refus de la part du Premier ministre ou du ministre de la Culture. Quand il se produit, un tel refus est interprété comme une ingérence de la part du gouvernement et est souvent très mal perçu par l’opinion publique. « Il est choquant que le Premier ministre se soit immiscé dans le processus de nomination au British Museum », confirme Simon Knell.

Or l’interventionnisme gouvernemental s’est accentué ces dernières années. Le seul recours laissé aux membres des conseils d’administration pour manifester leur mécontentement est alors de démissionner. C’est le choix fait en 2021 par Charles Dunstone, le fondateur milliardaire du groupe de télécomunications TalkTalk, qui était alors président des Royal Museums Greenwich. L’universitaire Aminul Hoque, proche de Charles Dunstone, a vu sa candidature rejetée par le ministère pour un second mandat, normalement automatique, parce qu’il avait « aimé » des tweets hostiles au gouvernement, selon la presse britannique.

La question sous-jacente du wokisme

« Par principe, les conservateurs se sont toujours battus contre l’État profond et ont toujours été réticents à créer ou à soutenir des institutions publiques, indique Simon Knell. Ils craignent que l’“État” ne les contrôle et ne le fasse en utilisant l’argent de leurs impôts. » Cette idée ressort d’un rapport sur la stratégie des musées publics nationaux rédigé en 2017, sous le gouvernement de Theresa May. « Nous ne changerons pas le statut de nos musées, qui sont des organismes publics non ministériels. Leur indépendance politique est vitale, mais, compte tenu des fonds qu’ils reçoivent du gouvernement, nous devons en maintenir le contrôle afin de garantir une utilisation optimale des fonds publics », avait déclaré en préambule John Glen, le sous-secrétaire d’État aux Arts, au Patrimoine et au Tourisme de l’époque.

Au cœur des interventions les plus récentes se trouve aussi la question des guerres culturelles, notamment « anti-woke », lancées par le gouvernement de Boris Johnson. « Les institutions culturelles sont souvent perçues comme épousant le libéralisme [au sens anglo-saxon, ndlr]et les valeurs progressistes », rappelle Simon Knell. Le phénomène dépasse même la sphère des musées nationaux, alors que le gouvernement a récemment essayé de s’immiscer dans les nominations de la chaîne de télévison BBC ou d’Ofcom, l’autorité régulatrice des télécommunications.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : Les Musées anglais voient leur indépendance remise en cause

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