Diplomatie culturelle

DIPLOMATIE D’INFLUENCE

La diplomatie d’influence française face à la réforme du corps diplomatique

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 15 mai 2023 - 1048 mots

La réforme lancée en janvier par Emmanuel Macron suscite des résistances parmi les diplomates, même si ses conséquences restent limitées pour la diplomatie culturelle.

L'Institut Français de Florence installé actuellement dans le Palazzo Lenzi © Ricardalovesmonuments, 2021, CC BY-SA 4.0
L'Institut Français de Florence installé actuellement dans le Palazzo Lenzi.

Paris. La réforme du corps diplomatique signe-t-elle « la fin de la diplomatie professionnelle », comme le craignaient les sénateurs en 2022 ? Dans la lignée des réformes précédentes, le président de la République a mis en œuvre une réforme du corps diplomatique, effective depuis le 1er janvier 2023. Fusion du corps diplomatique au sein d’un grand « corps d’administrateurs de l’État », ouverture des postes d’ambassadeur et de consul à des non-diplomates, fin des spécificités de la carrière au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) : les changements bousculent la tradition. Un rapport du Sénat déposé en juillet 2022 et intitulé « Quel avenir pour le corps diplomatique ? » traduit une grande inquiétude chez les élus, et la volonté de freiner ce qui est présenté par l’Élysée comme une modernisation. Les sénateurs pointent les conséquences pour la diplomatie d’influence, un domaine qui nécessite des compétences spécifiques, telles les « compétences linguistiques » des diplomates de métier (en particulier l’arabe et les langues asiatiques), les connaissances en droit international ou en « savoir être », un concept mal défini.

Des cocac souvent non diplomates de carrière

Pour la diplomatie culturelle et la coopération culturelle, les conséquences de la réforme semblent cependant marginales. Car des non-diplomates participent déjà à ces actions, à l’étranger et chez les opérateurs publics : c’est le cas à l’Institut français Paris où la majorité du personnel n’est pas diplomate de statut, ainsi qu’à Expertise France ou à l’agence Afalula. Dans les ambassades et les Instituts français, la situation est plus nuancée, car l’essentiel de la diplomatie culturelle y dépend du ou de la conseiller(ère) de coopération et d’action culturelle (cocac), un(e) fonctionnaire sous les ordres de l’ambassadeur et du ministère, et qui officie souvent en tant que directeur(trice) de l’Institut français local. Selon le site Web du MEAE, les cocac s’occupent de ce qui concerne la francophonie, la culture, l’éducation, les sciences, mais il est écrit qu’ « ils participent à la mise en œuvre de politiques de solidarité, d’influence et d’attractivité de la France à l’étranger ». Leur rôle est donc central, mais est-il nécessaire qu’ils soient diplomates de métier ? Depuis plusieurs années, des postes de cocac sont occupés par des fonctionnaires non diplomates, selon l’Association française des diplomates de métier, créée à l’été 2022 en réaction à la réforme :« Un certain nombre de cocac sont traditionnellement issus du monde de la culture et de l’enseignement. Leur nombre dépend de différents facteurs, en particulier le nombre de postes à pourvoir dans le réseau de la diplomatie culturelle. » C’est également le cas dans les services et directions du ministère, où s’élabore la stratégie d’influence : le rapport du Sénat rappelle que « 41 % des chefs de service du ministère ne sont pas des diplomates de carrière, et au total 52 % des agents du MEAE sont des contractuels ». Les récents succès du soft power français sont donc le résultat de synergies entre diplomates et experts (pour le développement d’Al-Ula, du Louvre Abu Dhabi). Côté ambassadeurs, il arrive que des non-diplomates soient nommés mais cela reste rare, à l’instar de l’écrivain et médecin humanitaire Jean-Christophe Ruffin sous la présidence de Nicolas Sarkozy, qui fut en poste à Dakar de 2007 à 2010, ou de Jean-Luc Martinez, ex-président-directeur du Louvre et aujourd’hui ambassadeur thématique.

Des non-diplomates ont toujours collaboré à la diplomatie culturelle française, comme le note l’Association des diplomates de métier : « Le réseau diplomatique français et les Instituts français ont toujours compté des profils de tous les horizons. » Les membres de l’association, eux-mêmes diplomates de carrière, soulignent cependant qu’une partie de ces agents du MEAE venus d’autres milieux intègrent le corps diplomatique à terme : « de nombreux diplomates de carrière viennent déjà du monde de la culture ». Il y a donc un phénomène d’intégration au corps diplomatique, lequel reste la référence pour la diplomatie d’influence y compris lorsque les diplomates ont quitté le MEAE : des ex-diplomates occupent ainsi des postes au sein d’agences publiques ou privées liées à la promotion du soft power français (telle la fondation Aliph).

La dilution des diplomates dans un corps unique

Pourquoi la réforme suscite-t-elle autant de résistance puisqu’elle semble entériner une évolution en cours ? En réalité, c’est la dilution des diplomates de métier dans un corps unique de hauts fonctionnaires qui inquiète le plus les diplomates et les sénateurs. Ce serait la fin des carrières passées entièrement au MEAE, et l’obligation de changer de ministère : les inquiétudes concernent finalement le statut des diplomates de carrière, fondé sur une longue tradition. Le Quai d’Orsay n’ayant pas donné suite aux demandes d’entretien du JdA, il n’est pas possible de préciser l’avancée de la réforme. À noter que, selon les sénateurs, le précédent ministre Jean-Yves Le Drian semblait réservé sur la fusion du corps diplomatique et la fin de ce statut d’exception.

La diplomatie d’influence va donc s’ouvrir plus largement aux profils de non-diplomates, avec le risque d’une concurrence entre hauts fonctionnaires, surtout avec ceux venus du secteur culturel : ce risque est souligné par le Sénat (« concurrence accrue et illégitime ») ainsi que par les diplomates. L’Association des diplomates de métier craint que la réforme ne conduise « les agents issus du monde de la culture à entrer en concurrence avec l’ensemble des membres du nouveau corps interministériel des administrateurs de l’État, y compris sur certains postes de cocac ». Ajoutant que si des historiens de l’art ou conservateurs de musée accèdent à des postes diplomatiques, « ils pourront apporter leur expérience et s’appuyer à leur tour, dans l’exercice de leurs missions à l’étranger, sur l’expertise proprement diplomatique des diplomates de carrière ». La base du soft power reste donc le corps diplomatique dans l’esprit des diplomates. Cependant ceux-ci soulignent que les effectifs du MEAE n’ont cessé de diminuer : « Le nombre de postes à pourvoir dans le réseau de la diplomatie culturelle a été drastiquement réduit depuis trente ans en raison des coupes budgétaires. » Les sénateurs en sont également préoccupés, et déplorent « une perte de prestige auprès des pays étrangers », lesquels, à l’inverse, augmentent leurs effectifs. Malgré la volonté d’Emmanuel Macron de « mieux organiser la capacité d’influence de la France », la réforme suscite donc des inquiétudes, que n’a pas dissipé l’augmentation récente du budget du Quai d’Orsay.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : La diplomatie d’influence française face à la réforme du corps diplomatique

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