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La BPI doit se séparer d’un cinquième de son fonds

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 5 mars 2024 - 909 mots

PARIS

Accueillie temporairement dans des locaux plus petits du 12e arrondissement, la BPI procède à un « désherbage » massif de ses collections, non sans susciter l’opposition des agents.

Paris. 80 000 ouvrages sur 380 000, soit plus d’un cinquième du fonds de la Bibliothèque publique d’information (BPI) : c’est le nombre de livres dont l’institution doit se séparer avant son déménagement dans le bâtiment Lumière (12e arr.), durant la fermeture du Centre Pompidou pour travaux. Ce grand chantier a déjà provoqué la plus longue grève du Musée d’art moderne (3 mois) que les bibliothécaires de la BPI ont rejoint pour contester le « désherbage » massif, une décision « prise sans aucune concertation avec le personnel et sans considération pour le public », comme l’écrit le collectif Bibliothécaire BPI dans une pétition qui a recueilli 1 300 signatures.

Selon la direction, ce chantier de désherbage commencé à l’été 2023 se déroule sur un « temps long », jusqu’en mars 2025. Les syndicats, de leur côté, expliquent devoir boucler le chantier d’ici fin 2024, ainsi que le confirme le rapport d’un Comité social d’administration du ministère de la Culture. Ce document stipule que 80 000 ouvrages doivent être retirés, « une réduction induite par le relogement de la BPI, mais qui s’inscrit dans des tendances de fond ». La réduction des volumes en libre accès pour donner la priorité à l’accueil des publics et au développement de l’animation culturelle, est présentée comme une « tendance générale » qui justifie de se délester d’un cinquième de la collection.

En opposition avec ces orientations du ministère, les agents défendent le cœur de métier de bibliothécaire – la gestion de fonds documentaires – et pointent les contradictions de cette politique : « On nous dit que le format numérique a la primeur, et qu’il y a une désaffection pour le papier. Et dans le même temps, on doit organiser des ateliers qui visent à limiter le temps des jeunes sur les écrans ! Ce sont des injonctions contradictoires qui engendrent une perte de sens pour les agents », explique Yannick Henrio, délégué du syndicat FSU à la BPI.

La direction invoque la « charte documentaire » – document de référence pour les agents de la BPI – en vigueur jusqu’en 2026 pour expliquer cette réduction importante des collections. « Les 20 % sont un objectif logistique, vis-à-vis de l’espace que l’on a dans le bâtiment Lumière. Ils ne portent pas uniquement sur les collections, mais aussi sur la jauge des lecteurs. Dans le désherbage, notre objectif est “documentaire”. Il n’y a pas de taux de 20 % à atteindre. Ce que l’on demande, c’est d’appliquer la charte. La consigne donnée aux agents est que la collection soit conforme aux objectifs de cette charte », fait savoir Annie Brigant, directrice adjointe de la BPI.

« Bibliothèque d’actualité et fonds de référence »

Le document en vigueur depuis 2020 entend redonner à la BPI son orientation initiale de bibliothèque d’actualité, proposant des publications récentes destinées à un large public. Cette exigence de rotation des fonds, inscrite dans les missions premières de l’institution, ne convainc pas les agents. « On ne renouvelle pas des livres de management ou d’informatique comme ceux d’histoire ou de philosophie, rappelle Yannick Henrio. Nous avons un fonds d’art très important et reconnu depuis 1977 par exemple et on nous demande des suppressions importantes dans ces domaines. Nous essayons de faire comprendre à la direction que nous sommes une bibliothèque d’actualité, mais aussi un fonds de référence. »

« C’est un fonds qui tourne bien, depuis 40 ans, 300 000 ouvrages ont été renouvelés, ajoute Claude-Marin Herbert, responsable de fonds à la BPI. Il y a certains fonds qui sont dits cumulatifs, des corpus, des éditions anciennes tout à fait utilisables qui coûteraient cher à racheter. Le problème de ce déménagement, c’est qu’il réduit la variété et la profondeur du fonds que l’on propose. Cela nous fait un drôle d’effet de mettre en vente sur Recyclelivre.com certains gros corpus, qui risquent d’être détruits s’ils ne sont pas vendus. » Pour la direction de la BPI, ce ne sont pas les critères de désélection d’aujourd’hui qui sont en question, mais ceux de sélection d’hier : « Il y a un effort conséquent sur ce désherbage, admet Annie Brigant, mais c’est un travail aux enjeux et rythmes différents, qui se déroule dans le même cadre que d’habitude, celui de la charte, avec les mêmes critères. Cette charte a été appliquée plus ou moins strictement par le passé dans les acquisitions, et aujourd’hui, le retour à ces critères crée une forte volumétrie dans le désherbage. »

Parmi les agents responsables des fonds, le désherbage engendre un malaise, mais aussi un accroissement de la charge de travail, malgré les équipes de logistique mises en place par la direction pour appuyer ce chantier. Les agents ont demandé un lieu de stockage temporaire – qui pourrait être au Centre national technique du livre –, afin de temporiser le travail de désélection. La direction n’y a pas donné suite. « Les précédents travaux de désherbage étaient bien anticipés ; les collègues pouvaient prendre le temps de faire ce travail intellectuel. Aujourd’hui, les indications nécessaires ne sont pas données par la direction », estime Yannick Henrio. Pour illustrer ce travail à marche forcée, le responsable syndical évoque un incident survenu en janvier, lorsque des agents chargés par la direction du déménagement ont profité de l’absence d’une responsable de fonds pour désherber à sa place une partie de la collection de littérature contemporaine. « Un événement qui a fini de briser la confiance entre les agents et la direction », lâche Yannick Henrio.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : La BPI doit se séparer d’un cinquième de son fonds

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