Un abri d’une audacieuse simplicité

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 juillet 2004 - 689 mots

Condition imposée par les donateurs, la construction d’un bâtiment dans le parc du château pour accueillir la collection Albers-Honegger devait relever plusieurs défis. Depuis son achèvement, aucun habitant de Mouans-Sartoux n’a pu ignorer son existence...

Signé du duo d’architectes suisses Annette Gigon et Mike Guyer, le bâtiment arbore une couleur peu habituelle dans la région : un vert fluo lazuré de jaune. Un pari audacieux, de l’aveu du maire « vert » de la ville, André Aschiéri, qui a pourtant soutenu ce projet aux dépens de Jacques Moussafir, lauréat de la consultation d’architectes, mais dont la construction rampante avait été jugée trop ambitieuse. Car construire dans ce parc imposait de négocier avec deux contraintes : d’une part, le respect des abords d’un château protégé et d’autre part, celui de l’espace planté des trois hectares de jardin public. Les deux architectes zurichois, proches de ce courant suisse qui, dans la lignée d’un Peter Zumthor, promeut le respect du site par des formes simples et fonctionnelles productrices d’émotions, ont répondu avec sensibilité et audace à cette gageure. D’où ce parti de construire sur la pente du parc, en contrebas du château, un bâtiment de béton de faible emprise au sol, compact et étiré jusqu’aux cimes des arbres, mais à la verticalité tempérée par des encorbellements cubiques, sortes de branches dégarnies d’un arbre géométrique. Dans l’environnement boisé, la couleur verte des murs révèle sa force lumineuse (et ses qualités d’atténuation des effets de ruissellement sur les façades). Au fil de la journée, l’enveloppe lisse se fait l’écran des ombres mouvantes des arbres, qui se reflètent distinctement sur les vitres-écrans réfléchissantes, placées au nu du mur. Habitués aux douces lumières alpines, Gigon et Guyer prouvent ici leur capacité à maîtriser la vigueur d’une lumière méditerranéenne.
À l’intérieur, l’agencement des circulations est conçu de manière dynamique. L’accès aux espaces d’accueil, situés au troisième niveau, s’effectue par une passerelle angulaire lancée au-dessus de la pente. De là, le parcours muséographique se déploie par demi-niveaux le long d’une spirale ascendante – thème classique de l’architecturale muséale –, déroulée en quinze séquences à l’arrière des façades. Chaque salle est d’un volume différent, mais toujours immaculé et baigné de la lumière naturelle captée par les larges baies horizontales, qui créent des interactions variées avec le paysage. L’échelle humaine des « pièces » rappelle, selon les vœux du donateur, l’origine « domestique » de la collection. Au dernier niveau, la promenade architecturale s’achève par une salle destinée aux œuvres de grand format, éclairée d’une verrière en bande placée sur le haut du mur, cadrée avec précision sur la cime des arbres. Réserves, pièces administratives et salle de conférences, auxquelles on accède en empruntant la spirale à rebours, occupent les niveaux inférieurs, sur la partie basse du talus.
Ce bâtiment manifeste, dont la construction était imposée à l’État pour l’acceptation de la donation, n’est pourtant que l’un des éléments de ce work in progress architectural qui anime le parc depuis quelques années. En 1998, Marc Barani construisait déjà, à la pointe du château, un élégant parallélépipède de béton brut semi-enterré, destiné à abriter les ateliers pédagogiques. En contrebas, dans le bois, le préau des enfants était inauguré en décembre dernier. Construit par les même Gigon et Guyer d’après une esquisse de Gottfried Honegger, ce simple abri de béton brut, aux flancs traités en V sur lesquels demeure l’empreinte des bois de coffrage, est ouvert à tous vents. Il protège une cimaise destinée à la présentation des œuvres des enfants. Plus loin, c’est un pavillon de musique que l’on projette déjà de construire, nouvelle folie avant-gardiste d’un parc qui sera prochainement réaménagé par le paysagiste Gilles Clément, grâce à une commande publique de l’État. Une preuve supplémentaire de l’activité peu commune qui règne dans ce centre d’art. « L’art concret est un art qui s’occupe du milieu de l’homme », aime à répéter son généreux donateur. Grâce à l’énergie de sa directrice, Dominique Boudou, et au soutien de la municipalité, ce précepte semble ici prendre tout son sens. À tel point que le premier édile s’avoue converti à l’architecture contemporaine. À ne plus regarder du même œil sa villa néoprovençale !

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : Un abri d’une audacieuse simplicité

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