Trésors des Amérindiens

L'ŒIL

Le 1 mars 2003 - 1734 mots

L’exposition « Symboles sacrés : quatre mille ans d’art des Amériques », actuellement présentée au musée des Beaux-Arts de Lyon, propose un panorama assez large de tout le continent américain – du Nord au Sud – en matière d’art ancien.

Le propos de « Symboles sacrés » est, à travers quelque cent quatre-vingts objets choisis autant pour leur beauté que pour la diversité des croyances et coutumes qui les ont engendrés, de fournir un aperçu de quatre millénaires d’histoire culturelle, ainsi que de montrer au public la création artistique des peuples qui ont occupé les anciennes Amériques, du Nord, du Centre et du Sud, depuis environ 2500 av. J.-C. jusqu’à l’arrivée des premiers Européens au tournant des XVe et XVIe siècles. Histoire passionnante et dont les traditions artistiques connaissent certaines survivances à notre époque.
L’exposition est organisée en quatre zones géographiques : Amérique du Nord, Mexique, Amérique centrale et Amérique du Sud. Une section supplémentaire évoque la période de colonisation inaugurale (1492-1550) et les deux grandes civilisations alors dominantes, aztèque et inca. Certains objets, surtout parmi ceux d’Amérique du Nord, constituent des raretés qui ne sont quasiment jamais montrées en France. L’ensemble procure une impression de magnificence assez heureuse.
Les premières occupations remontent au plus tard à 10 000-12 000 ans av. J.-C. (on parle parfois de 30 000 à 40 000 ans), venues d’Asie orientale par le détroit de Béring. Les récits de tradition orale dans les premières nations amérindiennes font des ancêtres des habitants attachés depuis la nuit des temps au sol américain et non des populations issues d’un quelconque flux migratoire. Malgré un substrat commun dans les techniques et les matériaux utilisés, substrat dont l’iconographie porte en partie témoignage, ce qui domine d’un bout à l’autre du continent c’est la diversité des cultures et des traditions artistiques, car les sociétés se sont développées dans des cadres naturels fort disparates, depuis les glaciers arctiques jusqu’à la forêt amazonienne et les sommets andins.
En 1492, deux mille nations étaient répertoriées, aujourd’hui on en dénombre à peu près cinq cents, non seulement du fait des exterminations, mais en raison aussi de la fluidité des échanges commerciaux qui ont favorisé les fusions et l’élargissement des communautés sociales. Au néolithique, les hommes s’organisent en sociétés plus complexes, propices aux grands ensembles architecturaux et à une hiérarchisation des conditions au sein de cités où s’associèrent pouvoir religieux et noblesse. Vers 2500 av. J.-C., on assiste à l’émergence d’objets symbolisant le rang, le pouvoir ou la richesse, allant de pair avec un remplacement des chamanes par des ordres structurés de prêtres. Au moment des conquêtes européennes, le continent, pris dans son ensemble, présente sur le plan culturel de nombreux atouts : méthodes perfectionnées de calcul mathématique et astronomique, écriture hiéroglyphique, mythologies élaborées, poésie épique, créativité multiple accordant une place majeure à la musique, à la danse, aux arts visuels, abstraits, symboliques ou figuratifs. L’Amérique centrale reste, durant toute la période, aux chefferies locales de dimension réduite, tandis que les autres aires culturelles connaissent des parcours historiques parallèles avec l’apparition, à chaque fois, de vastes ensembles architecturaux revêtant des formes variées. En Amérique du Nord, chez les deux cultures retenues ici – les Woodlands, sur la moitié est des États-Unis actuels, depuis le sud du Canada jusqu’au golfe du Mexique, et la culture dite « du Sud-Ouest » couvrant les territoires de l’Arizona, du Nouveau-Mexique, du Colorado et de l’Utah – se développent de grands centres urbains. Pour les Woodlands, du VIIIe au XVIIe siècle, ce qu’on appelle la production mississipienne met en place une « culture des temples-tertres » (Temple-Mound culture), se traduisant dans des aménagements dominés par de larges tertres sur lesquels se juxtaposent maisons des chefs, bâtiments administratifs ou religieux et sépultures des notables. La société des Woodlands se trouvait, de la sorte, organisée en chefferies héréditaires et disséminées, cette architecture du temple-tertre symbolisant la puissance d’une telle hiérarchie. Dans le Sud-Ouest, c’était l’architecture des pueblos, à base de pierre et d’adobe (terre d’argile), qui, dès la fin du IIe millénaire av. J.-C., avait mis en place de petites constructions reliées les unes aux autres pour former de grandes agglomérations encore visibles aujourd’hui.
Au Mexique, quatre cultures se sont succédé, toutes caractérisées par une tendance à l’architecture monumentale. Dès 1250 av. J.-C., les Olmèques ou « peuple du caoutchouc » – qui devaient disparaître vers 400 av. J.-C. – construisirent de superbes pyramides édifiées sur des plateformes cérémonielles. Ensuite, la civilisation de Teotihuacan, entre 150 av. J.-C. et 750 ap. J.-C., constitua cette ville en importante métropole religieuse. Une immense plateforme cérémonielle surélevée se trouvait couverte d’édifices religieux. Troisième grande culture dans le temps, les Mayas, entre 250 av. J.-C. et 1000 ap. J.-C., s’organisèrent en cités-États gouvernées par des rois divins qui, outre des céramiques présentant des décors à leur effigie, se faisaient élever d’impressionnants monuments. À leur tour, les Aztèques, à partir du milieu du xive siècle, s’installent sur le site de l’ancienne Teotihuacan pour y fonder la ville de Mexico-Tenochtitlan, agrémentée de temples de maçonnerie élevés sur de gigantesques plateformes creusées dans le roc. Le même système social hiérarchisé se manifesta en Amérique du Sud par des constructions monumentales qui conjuguent le profane et le sacré, repérables dans la région actuelle de l’Équateur et de la Colombie.

Un art éminemment religieux
L’exposition montre que ces quatre mille ans d’art des Amériques ont en commun la destination religieuse et sociale des objets, telles la céramique, la parure et la statuaire. La céramique, par son usage à titre de récipient, est de loin la production la mieux connue et la plus diffusée dans les Amériques anciennes. Dans la partie nord du continent, la culture mississipienne se signale par des récipients décorés de figures humaines – le plus souvent des danseurs en costume – qu’on utilisait dans un contexte funéraire. Dans le Sud-Ouest, quatre productions, celles des Hohokams, des Anasazi, des Patayans et des Mogollons, toutes cultures dont l’efflorescence se situe entre le vie et le XVe siècle de notre ère, sont reconnaissables. Leur céramique peinte présente des motifs géométriques – évocation abstraite de décors de chasse à dimension religieuse – ou d’éléments naturels. Ainsi une jarre anasazi du xiiie siècle est-elle ornée de motifs qui figurent l’éclair des orages d’été.
Le Mexique abrite, en plus des civilisations mentionnées, trois cultures riches en céramiques : les Colima (300 av. J.-C.-600 ap. J.-C.), les Nayarit (100 av. J.-C.-250 ap. J.-C.), les Jalisco (300 av. J.-C.-500 ap. J.-C.). Les Nayarit et les Jalisco mettent plutôt l’accent sur des représentations humaines – scènes d’activités cérémonielles ou de la vie quotidienne –, tandis que la production couleur brique de Colima se tourne volontiers vers une plus grande variété d’êtres vivants, comme le chien ; ce dernier, lié au monde souterrain, était tenu pour le guide de l’homme dans l’au-delà.
En ce qui concerne l’Amérique du Sud, les motifs iconographiques des œuvres de cultures chavin (900 av. J.-C-200 ap. J.-C) ou nazca (200 av. J.-C-600 ap. J.-C), pour la partie centrale et méridionale du Pérou, comme ceux que renferment les productions des Mochicas (ier-viiie siècle) et des Incas (xve-xvie siècle) plus au nord, font ressortir des figures hybrides, mi-humaines, mi-animales. À Chavin, il y a une grande diversité de récipients, mais un type ressort : la jarre en forme de globe, à fond plat, couronnée d’un goulot-étrier. Les céramiques mochicas – dont le style s’est modifié au cours du temps – revêtent des décors gagnant en réalisme habités de nombreux animaux. Quant aux Nazcas, ils ont inventé une technique décorative employant une palette de pigments noir, rouge, orange, bleu, mauve, gris et blanc du plus bel effet. Les Incas, de leur côté, font valoir un type de céramique réservé à la consommation de bière, le kéro, sorte de timbale évasée en bois, ornée d’incisions et peinte de décors.
S’agissant de la parure, c’est surtout l’Amérique centrale qui est au premier plan. Les ornements en coquillage et en cuivre gravé ou repoussé de cette partie du continent présentaient un répertoire iconographique très riche : guerriers dansants, rapaces aux ailes déployées faisant référence à « l’Oiseau-tonnerre » (Thunderbird), puissante figure sacrée que révéraient de nombreuses mythologies amérindiennes. Mais la Mésoamérique a développé, entre le vie et le XVIe siècle, un art de la parure particulièrement brillant. Dans une profusion d’or, l’iconographie reflète un imaginaire complexe, avec des représentations hybrides d’animaux. Entre le Costa Rica, le Panama et la Colombie, un continuum culturel se fait jour, notamment dans la technique de l’or battu, utilisée pour les pendentifs des souverains et des notables. Cet or ouvragé se retrouvera au Mexique dans la production aztèque, conséquence des échanges commerciaux. La symbolique de l’or en faisait, dans les croyances indigènes, une émanation directe du soleil, censée receler des principes actifs masculins qui ne prenaient toute leur force que si l’or était travaillé. Par ailleurs, la production d’objets de parure en jade, antérieure au travail de l’or, comporte des pièces intéressantes mais plus rares. En somme, dans cette région, on peut dire qu’au nord prévalait l’influence culturelle du jade, tandis qu’au sud ce fut l’or qui prédomina.
Pour la statuaire, un seul type de création vraiment significatif : les figurines colorées en céramique de l’île de Jaïna. Elles mettent en scène la glorification des monarques et des notables représentés dans leurs habits de lumière, mais aussi des scènes plus ordinaires. La mise en évidence d’échanges commerciaux et culturels sur toute l’étendue du continent américain est l’aspect le plus original de cette exposition. La diffusion des techniques et des idées se faisait principalement du sud vers le nord. Mais les peuples d’Amérique centrale ont influencé les cultures avoisinantes aussi bien dans un sens que dans l’autre, parfois sur de longues distances.
Exposition plus descriptive que réellement problématisée, sorte d’état des lieux de l’Amérique ancienne, mise sous vitrine d’objets bien choisis et représentatifs des principales cultures du continent, telle est la teneur de « Symboles sacrés : quatre mille ans d’art des Amériques ». Cette présentation ne peut être exhaustive, mais elle laisse, à l’arrivée, une impression somptueuse.

L'exposition

« Symboles sacrés : quatre mille ans d’art des Amériques » du 20 février au 28 avril, tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h , le vendredi jusqu’à 20 h. Plein tarif : 7 euros, tarif réduit : 5 euros. Musée des Beaux-Arts de Lyon, palais Saint-Pierre, 20 place des Terreaux, Ier, tél. 04 72 10 17 40.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : Trésors des Amérindiens

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