Rybar & Daigre

La déco design

L'ŒIL

Le 1 mai 2003 - 788 mots

Derniers noms aujourd’hui à rejoindre le monde du design, les « décorateurs » des années 1960 et 1970 qui créèrent pour une clientèle privée des meubles et des objets destinés à des intérieurs de grand luxe. Christie’s révèle, lors d’une vente au mois de juin, deux d’entre eux « Rybar et Daigre » dont le label reste attaché aux fêtes de la Café Society d’alors.

Valerian Rybar, yougoslave d’origine et Jean-François Daigre, français, associent leurs talents de décorateurs en 1968. Un talent exercé jusque-là dans le domaine de l’éphémère : à l’opéra et au théâtre pour Jean-François Daigre, qui était l’assistant de Jacques Dupont, puis chez Christian Dior, où il  s’occupe des décors. Rybar, émigré aux États-Unis à la fin des années 1950, est remarqué lors d’un bal de charité par Elizabeth Arden. Elle lui demande de s’occuper des décors de sa boutique.
Installés sur Madison Avenue et à Paris rue d’Anjou, « Valerian Rybar & Daigre Design corp. » deviennent très vite les décorateurs de la Café Society d’alors : bureaux directoriaux à Londres, appartements sur la 5e Avenue, hôtels particuliers Rive Gauche, dîners d’un soir ou bals d’une nuit. En mai 1968, pour les Patino, un bal au Portugal au décor de corail. À Paris, Daigre transforme leur hôtel en château de la Belle au bois dormant, couvrant de fausses toiles d’araignées l’orfèvrerie renversée, nappant les tables de dentelles grises. Pour un nouvel an au château de Ferrière, c’est sur une nappe rouge brodée d’or inspirée des tapisseries de la Renaissance que nautiles montés, « pokals » et autres licornes en orfèvrerie d’Augsbourg, plats de Bernard Palissy, émaux et cristaux de roche recréent un centre de table digne de Rodolphe II. Toujours pour Guy et Marie-Hélène de
Rothschild, Daigre met en scène le bal surréaliste de 1972. Les masques des invités évoquent le visage du marquis de Sade par Man Ray, la cage à oiseau de Magritte, les anatomies à tiroirs de Dali. Les tables sont composées autour de « souliers fous à lier », de « rhinocéros en plein génie » et de « tortues attendries », qui seront présents à la vente chez Christie’s. En apothéose, le bal oriental d’Alexis de Rédé à l’hôtel Lambert où les invités en costumes dessinés par Daigre sont reçus à
la porte par deux gigantesques éléphants blancs et éclairés dans l’escalier par des porteurs de torche aux muscles impressionnants.

Du design au capiton
Les décorateurs organisaient aussi des fêtes dans leur hôtel particulier de la rue du Bac dont le contenu est mis en vente par Christie’s. Comme Charles Sévigny au même moment pour Hubert de Givenchy, Henry Samuel pour Alain de Rothschild, ou le bottier Roger Vivier pour lui-même, la modernité exalte dans les intérieurs de Rybar et Daigre l’objet d’exception. Acier et aluminium brossé, miroirs bronze et mirolège, laques rouges ou noires, plexiglaces (sic) et résines sertissent les cabinets de pierre dure, mettent en valeur les marbres antiques et les petits bronzes de la Renaissance, font chanter les bois dorés des consoles italiennes baroques. Peints en blanc, les sièges xviiie sont revêtus de cuir fauve, les sabots dorés des petites tables d’acajou s’enfoncent dans d’épaisses moquettes simulant l’écaille ou le marbre, ou rayent les dalles de majolique ancienne. Pour accompagner ces objets anciens, les décorateurs dessinent des tables basses, des bouts de canapés, des sièges confortables et des meubles d’appui dans leurs matières favorites. « Le Style, disait Rybar, est à la frontière du bon goût et de la vulgarité, de l’originalité et de l’ostentation. » Frontière ténue comme en témoigne le grand salon de miroirs de la rue du bac, show room des décorateurs. Grands panneaux de mirolège et miroirs en bois doré reflétaient robes longues et smokings de leurs invités et clients tandis que les familiers du couple étaient reçus au premier étage dans des pièces plus intimes entourant un patio. Se faisant face deux chambres, pour les hôtes, la « chambre de la guerre », une version beige et marron des tentes militaires néoclassiques d’où proviennent les deux grands trophées d’armes en bois doré et laqué présentés à la vente. Pour les maîtres de maison, la « chambre de la paix » dont le tissu s’accordait aux meubles sombres garnis de plaques de lapis-lazuli. Rybar et Daigre ne se cantonnaient pas à ce registre sévère et viril, ils savaient aussi suivre et encourager les folies de certains clients comme Maria Felix qui leur commanda un décor capitonné vert pistache et rose framboise pour mettre en valeur son mobilier de nacre et de papier mâché Louis-Philippe.

Exposition du 2 au 4 juin à 18 h, vente Rybar et Daigre, 5 juin. Christie’s, 9 av. Matignon, 75008 Paris, tél. 01 40 76 85 88 www.christies.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°547 du 1 mai 2003, avec le titre suivant : Rybar & Daigre

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