Portraits de chiens

L'ŒIL

Le 1 décembre 2000 - 1172 mots

Présentée à partir du 15 décembre au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris, l’exposition « Vies de chiens » réunit un ensemble exceptionnel de toiles et d’objets. Voici, en quelques tableaux, la brillante carrière artistique du chien, reflet du regard que porta sur lui la société au cours des siècles.

À l’aube de l’humanité, le chien était un loup pour l’homme. Au XIXe siècle, Michelet pouvait écrire : « Les chiens sont des candidats à l’humanité. » Entre temps, l’homme avait compris le parti qu’il pouvait tirer de cet animal intelligent et fidèle. Il l’avait apprivoisé, en avait fait un compagnon de chasse, plus tard un compagnon tout court. Le chien pouvait dès lors entrer dans l’art. Dans l’Égypte ancienne, dogues, lévriers, bassets et roquets de race mêlée apparaissent sur les bas-reliefs. Ils chassent la gazelle, l’autruche et même, pour les plus téméraires, le lion. Momifiés, ils sont inhumés dans leur propre cimetière. Un dieu du nom d’Anubis leur fait même l’honneur de leur emprunter museau et grandes oreilles. Les Grecs et les Romains leur renouvellent leur confiance, leur élèvent même des statues de marbre. La mosaïque de Pompéi « Cave canem » (prends garde au chien), qui saluait le visiteur à l’entrée de la maison, témoigne de cette présence familière. Gardien de la maison, le chien est aussi, dans la mythologie grecque, le monstre à cent têtes qui garde les Enfers. Les morts se rendant à leur dernière demeure ne devaient pas oublier de lui faire l’offrande d’un gâteau de miel, scène représentée sur les vases grecs. Les débuts du Christianisme négligent le chien, réduit au rôle très occasionnel de compagnon du Bon Pasteur. On lui préfère l’agneau mystique. Il réapparaîtra néanmoins dans l’iconographie des saints, devenant l’attribut de saint Roch. On disait autrefois de deux inséparables : « C’est saint Roch et son chien. » On le voit aussi, parfois, en simple figurant de scènes religieuses. Dans la Crucifixion de Gérard David, un chien tondu à la dernière mode renifle le crâne d’Adam près duquel on s’apprête à ériger la croix. L’art de la Renaissance lui donne sa revanche. Diane chasseresse ne s’élance dans les bois qu’accompagnée d’une véritable meute. La magnifique toile d’Orazio Gentileschi la montre tenant en laisse un lévrier à l’œil luisant, au museau frémissant. Peint par Jacopo Bassano, le premier tableau exclusivement dédié au chien qui nous soit parvenu date des années 1550. Digne de fournir à lui seul le sujet d’une peinture, le chien est tout naturellement  admis dans l’intimité des déesses. Qui dort aux pieds de la Vénus d’Urbin de Titien ? Un petit chien sagement roulé en boule. Dans Vénus, l’Amour et la Musique, du même Titien, la déesse nue se détourne de l’organiste pour prodiguer ses caresses à un chien. Le chien de compagnie est devenu l’un des ornements de la vie aristocratique. Le chien figure désormais dans les portraits des grands de ce monde, chien de chasse prestigieux paré d’un riche collier ou petit animal de compagnie symbolisant la fidélité. Il apparaît déjà à ce titre dans le Portrait des époux Arnolfini de Van Eyck.
Descartes portera un coup terrible à ce charmant compagnon en formulant sa théorie de l’animal-machine, niant à la bête la possession d’une âme et donc la capacité de souffrir. Les sévices et les tortures ne peuvent donc l’atteindre, théoriquement. Heureusement, la porte des églises lui reste grande ouverte. Les tableaux hollandais du XVIIe siècle montrent une joyeuse population canine gambadant librement dans la maison du Seigneur, levant parfois la patte sur l’un des piliers de la nef. Ces innocentes créatures sont bien éloignées des molosses sanguinaires qui se disputent une proie dans les tableaux des Flamands Hondius ou Snyders à la même époque.

L’avènement du chien moderne
Le XVIIIe siècle voit l’avènement du chien moderne. Combattue par Leibnitz, puis par Voltaire et Buffon, la théorie de Descartes est... jetée aux chiens. La certitude s’impose qu’il est, comme l’homme, capable de sentiments. Il devient une véritable personne, héritant parfois d’une fortune à la mort de son maître. À Paris comme à Versailles, le chien tient son rang. À l’époque de la Régence, la princesse Palatine parle avec tendresse dans ses lettres d’une chienne ni petite ni grande, ni même très belle, mais qui a « beaucoup d’esprit ». Elle est « sa favorite déclarée (...) Je l’appelle la Reine inconnue, c’est la seule reine qu’il y ait en France présentement (...) Elle est véritablement héritière du roi Titi dont la mort m’a coûté bien des larmes il y a deux ans. » Dans son pittoresque Tableau de Paris, paru en 1781, Louis Sébastien Mercier confirme et déplore l’engouement pour les petits chiens : « La folie des femmes est poussée au dernier période sur cet article. Elles sont devenues gouvernantes de roquets et ont pour eux des soins inconcevables (...). Les mets les plus exquis leur sont prodigués : on les régale de poulets gras, et l’on ne donne pas un bouillon au malade qui gît dans le grenier. »
En France, le siècle s’ouvre sur les tableaux de Desportes, « portraitiste » officiel des meutes de Louis XIV et de Louis XV. Ses études peintes à l’huile traduisent une vibrante sensibilité, alliée à un sens très sûr du rendu des pelages, hérité de la peinture flamande. Ses portraits portent le nom des modèles : Nonne, Bonne, Zette, Lise, Nonette, Folle et Mite. Ils sont accrochés dans l’apparte-        ment du roi à Marly. Oudry prendra la succession de Desportes, franchissant un pas de plus dans l’humanisation du chien. Présentée au Salon de 1753, La lice et ses petits arrache à Diderot des cris d’admiration. C’est le triomphe du chien décrit par Buffon : « sans avoir, comme l’homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment. »  Si le code Napoléon considère le chien comme un simple meuble, le XIXe siècle voit le chien gagner le cercle toujours plus large de la bourgeoisie. L’amélioration des races, la définition de critères de beauté de l’animal et la multiplication des expositions canines flattent ce courant. Les Anglais sont pionniers en la matière. En France, Alfred de Dreux délaisse à l’occasion la peinture des chevaux pour celle des chiens de race. Dans sa Nature morte au gibier, Henri Regnault oppose le beau pelage noir de l’animal à un somptueux décor Second Empire. Ces chiens chics irritent Baudelaire : « À la niche, tous ces fatigants parasites ! Qu’ils retournent à leur niche soyeuse et capitonnée ! » Il faut dire qu’après Courbet, le chien disparaît presque complètement du champ de la peinture moderne, malgré les efforts du vicomte Lepic, artiste et éleveur, pour procurer des chiens à ses amis impressionnistes. Peut-être Baudelaire se serait-il laissé attendrir par Bouboule, bouledogue de Madame Palmyre, célèbre tenancière de bordel ? Croqué au pastel par Lautrec, il avait vraiment du chien !

- PARIS, Musée de la Chasse et de la Nature, 15 décembre-30 mars, cat. éd. Alain de Gourcuff, 180 p., 160 ill., 195 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°522 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Portraits de chiens

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