Photographie à la chinoise

Pingyao à Paris

L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 764 mots

Le premier festival de photographie du continent asiatique, Pingyao, s’exporte depuis trois ans à Paris, dans le but d’ouvrir le monde occidental à la photographie chinoise.

Créé voici trois ans par Alain Jullien, son commissaire général, le festival de Pingyao a ce double objectif, selon son maître d’œuvre : d’une part, « ouvrir » le monde occidental à la photographie chinoise ; d’autre part, faire « découvrir » la ville de Pingyao, bourgade fortifiée du Shanxi classée au patrimoine de l’Unesco, riche de temples et de palais, au cachet historique, culturel et touristique incomparable. Un mariage contre nature entre culture et industrie culturelle, estimeront non sans raison les mauvais coucheurs, à ceci près : en plus de s’être hissé au rang de premier festival de photographie du continent asiatique, Pingyao est aussi l’objet de la sollicitude empressée des autorités, qui y ont créé l’automne dernier le premier musée du pays consacré à la photographie chinoise. Une sollicitude parfois pesante, comme l’a montré la dernière édition, où les exigences du pouvoir politique local se sont heurtées de front à la sélection initiale, avec démission d’Alain Jullien à la clé, avant renégociation (Le Monde du 16 octobre 2003)… La culture, continuation du combat politique par d’autres moyens ?
« Pingyao à Paris », exposition basée à l’espace MK2 Bibliothèque, est le pendant français de l’opération chinoise.  Dotés par Alcatel et L’Oréal, principaux sponsors du festival, les treize lauréats des éditions 2002 et 2003 y présentent au public leurs travaux sous deux rubriques : livre d’artiste, œuvre photographique. La sélection proposée, entre documentaire hard et photographie subjective, a l’avantage de la diversité. Relevons-y, dominante, la préoccupation ethnographique, celle des Wang Fuchum (Chineses on the train), Liu Zheng (Les Chinois) et autres Xu Yong. Portée en priorité à enregistrer la vie des petites gens ou des paysans des campagnes les plus reculées, une telle attention est rendue légitime par les mutations accélérées que connaît la Chine contemporaine, plus imposées en haut lieu que librement admises par la population, et prodigues d’une transformation souvent violente des modes de vie. Cette brutalité de l’histoire en marche, la tempèrent toutefois les clichés de Wang Miao, valorisant enracinement ethnique des peuples de Chine, beauté des sites et union de l’homme chinois et de la nature. La modèrent encore les portraits objectivistes des moines de Shaolin que réalise Hei Ming, dans la grande tradition de la Neue Sachlichkeit et d’un August
Sander : vitalité sereine, plus l’impression d’une formidable capacité de résistance aux aléas de l’histoire, résistance des hommes comme des images. Quant à la subjectivation du propos photographique, c’est sans frein que celle-ci se donne cours chez un Miao Xiaochun ou un Yan Chang Jiang. Le premier promène et photographie en divers lieux de Chine un personnage en polyester fait de sa main et vêtu en mandarin, irruption parfois saugrenue d’une figure de la plus grande tradition dans la Chine d’aujourd’hui. Quant au second, il « shoote » de nuit un parc zoologique en recourant à l’exposition de longue durée : irruption garantie de formes bizarres et accentuation surréaliste du propos.
Autre point fort de la sélection : son côté glasnost, ses velléités de transparence politique (certes ambivalentes, exploitables par le pouvoir de manière réversible…). Le signe d’un revirement d’un pouvoir réputé autoritaire qui se livrerait enfin, par images interposées, à l’autocritique ? Peuvent le laisser accroire, d’une forte puissance d’impact, les photographies de Lu Guang (AIDS Village) et de Song Chao (Les Mineurs), les unes comme les autres peu amènes avec l’autorité officielle. Les premières, ainsi, se consacrent à l’épidémie du Sida et à ses ravages chez les populations pauvres du pays victimes de la contamination sanguine et, en amont, de l’impéritie de ses gouvernants. Les secondes, elles, rendent compte de la condition sociale des mineurs du Shandong, des plus éprouvantes, rudes tâcherons des profondeurs dont Song Chao en personne, leur mentor par l’image, est aussi dans la vie courante le compagnon de travail : un peuple prolétaire dont on ne jurerait pas que la Grande Révolution prolétarienne initiée par Mao l’ait conduit aux rivages enchantés du socialisme accompli… Une telle ouverture sur la réalité est salutaire. Plus qu’entériner un désastre de la condition humaine sur le mode fataliste de l’enregistrement, elle invite au contraire à une réforme, à une correction du système où le photographe vient ponctionner ses images. Où la photographie se fait humaniste pour le meilleur : contre la compassion, pour l’action.

L'exposition

« Pingyao à Paris » se tient du 6 février au 26 mars. PARIS, MK2 Bibliothèque, 128-162 avenue de France, XIIIe, tél. 01 56 61 44 00.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Pingyao à Paris

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