Patrizia Sandretto Re Rebaudengo : Collection Re Rebaudengo, du chic au choc

L'ŒIL

Le 1 avril 2000 - 1133 mots

Comme chaque année depuis quatre ans, le palais de Guarene d’Alba en Piémont
accueille en avril le Prix de la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo per l’Arte. Créée en 1995, cette fondation a pour objectif de montrer la création contemporaine à un public le plus jeune et le plus large possible. Rencontre avec Patrizia Sandretto Re Rebaudengo, une collectionneuse de 41 ans aux choix esthétiques et financiers très assurés.

Quand avez-vous commencé votre collection et pourquoi l’avoir installée à Alba ?
Tout a commencé en 1992. Chez moi, il y avait des œuvres d’art ancien dont je ne me sentais pas très proche. Alors j’ai décidé de tout changer pour venir vers l’art contemporain. J’ai voulu une collection thématique car ce qui m’intéresse ce n’est pas d’amasser des œuvres mais plutôt de comprendre comment collectionner. Vous savez, j’ai fait des études d’économie à l’université. C’est sans doute pourquoi j’ai choisi différents secteurs, différents thèmes que je pourrais fouiller à fond. La première condition a été d’acheter des œuvres créées après 1959. Pourquoi 1959 ? Uniquement parce que c’est l’année où je suis née et que je voulais collectionner l’art de mon époque. D’autre part le fait d’acheter des œuvres d’artistes vivants m’a permis de les côtoyer, de leur parler, de mieux les connaître. J’ai donc commencé par des artistes italiens : Carla Accardi, Mario Merz, Salvatore Scarpitta et Tano Festa. Ensuite il m’a semblé important de les présenter dans un contexte international. À Londres, j’ai acheté une sculpture de Richard Deacon, puis des œuvres de Steven Pippin, Sam Taylor-Wood, Dinos et Jake Chapman. L’objectif était également de montrer ma collection aux autres. C’est pourquoi j’ai d’abord utilisé un espace industriel à Sant Antonino di Susa près de Turin en 1994. Là, j’ai rencontré le directeur de la Galleria civica de Modène qui a voulu exposer ma collection dans son musée. Il m’a également expliqué qu’il y avait une autre manière de collectionner. Pas simplement dans son coin, mais avec les institutions. C’est ainsi qu’est née l’idée de la fondation. Puis j’ai acheté et exposé des artistes de Los Angeles comme Mike Kelley, Tony Oursler, Jason Rhoades, Sharon Lockardt ou Catherine Opie.

Étaient-ce des achats effectués directement auprès des artistes ou par le biais de leurs galeries ?
Toujours en galerie. Je connais personnellement les artistes, je visite leurs ateliers mais j’achète toujours en galerie, car les marchands sont un maillon indispensable entre les artistes et le public. Il ne faut pas les contourner.

Vous avez montré des artistes italiens, anglais ou de la côte ouest des États-Unis. Quels sont les autres axes de votre collection ?
Les femmes-artistes.

Pourquoi ?
Je suis une femme et je pense qu’à l’époque, lorsque j’ai commencé ma collection, elles étaient négligées. Jenny Holzer, Cindy Sherman, Barbara Kruger ont changé la face de la création d’aujourd’hui. Et puis je me sens proche de leurs préoccupations. Ces « pionnières » ont dû se battre pour exposer d’égal à égal avec les hommes. Aujourd’hui les femmes artistes n’ont plus rien à prouver. On les juge uniquement sur leur travail. À Rivoli en 1996, Ida Gianelli m’a justement invitée à présenter cette facette de ma collection avec d’autres collectionneuses italiennes comme Marcello Levi ou Eliana Guglielmi. Enfin, le cinquième secteur de ma collection est la photographie.

Toute la photographie ?
Oui, mais surtout la photographie italienne depuis 1860, car en Italie la photographie ancienne n’était pas, jusqu’à très récemment, reconnue à sa juste valeur.

Ce qui est impressionnant dans votre collection, c’est que, tout en étant très récente, elle compte un nombre impressionnant d’œuvres. Vous achetez beaucoup ?
Au début, je m’étais fixé un budget. C’était sans doute un souvenir de mes études de commerce. Mais aujourd’hui avec la fondation, c’est différent car j’aide à la production d’œuvres et d’expositions.

Achetez-vous une œuvre de chaque artiste ou, comme le comte Panza di Biumo, des ensembles d’œuvres ?
Cela dépend. Pour Vanessa Beecroft ou Rose-Marie Trockel, j’ai des ensembles cohérents. Pour d’autres, une seule œuvre suffit pour figurer dans une exposition thématique.

Passez-vous des commandes ?
Nous avons aidé par exemple la production de l’installation vidéo de Doug Aitken, Electric Earth, qui a reçu le Prix international du jury de la dernière Biennale de Venise. Même chose pour Luisa Lambri qui, elle, a gagné le Lion d’or de la même Biennale avec quatre autres artistes italiens. Nous avons également permis la réalisation du livre Sogni/Dreams de Hans Ulrich Obrist et Francesco Bonami. Et puis, chaque année, nous avons un prix à Guarene. Les artistes sont invités à séjourner à Turin puis exposent au palais. C’est une occasion d’échanges. C’est là que le Zurichois Urs Fisher a rencontré le Londonien Keith Tyson et maintenant ils travaillent ensemble. À Guarene, chaque artiste montre une œuvre qui concourt pour le Prix Fondazione Sandretto Re Rebaudengo et un projet pour le Prix de la région Piémont.

Alors, maintenant, vous pouvez répondre à ma première question. Pourquoi à Guarene d’Alba ?
Mon mari et moi avons ce palais du XVIIIe siècle. Il était vide et inhabité, dans une région viticole, surnommée Langhe e Roero, pas très connue pour l’art contemporain. Cela m’a semblé un endroit parfait pour montrer ma collection, organiser des expositions et sensibiliser les enfants à la création actuelle. Même si Guarene n’est pas un lieu « stratégique » à proprement parler, nous ne sommes pas très éloignés du Castello di Rivoli, de la Fondazione italiana di Fotografia de Turin ou de la toute récente Capella di Barolo, décorée par Sol LeWitt et David Tremlett (L’Œil n°512 ). En fait, j’ai le projet d’ouvrir très prochainement un nouveau lieu de 3000 m2 à Turin, un espace d’exposition et une vitrine pour Guarene et la municipalité vient de m’accorder toutes les autorisations.

Y a-t-il en Italie une aide financière de l’État justifiant le nombre important de fondations ?
Non, les fondations sont considérées comme n’importe quelle entreprise commerciale sujette à la TVA et autres taxes. Si j’ai choisi de créer une fondation, c’est que c’était la seule manière d’être reconnue à l’étranger.

Lorsque vous parlez d’être « reconnue à l’étranger », il s’agit de vous même ou de la fondation ?
La fondation, bien sûr. Si vous voulez organiser une exposition à l’étranger, c’est bien plus simple sous couvert d’une fondation. En février par exemple, à l’occasion d’Arco, nous avons monté une exposition à partir de mes œuvres, invités par la Communauté urbaine de Madrid.

Et d’où vous vient votre fortune ?
Ma famille était une famille d’industriels turinois spécialisés dans le plastique. Grâce à leur aide,  je peux désormais me consacrer à mes passions : collectionner, aider les artistes et faire connaître à un plus grand nombre et spécialement aux jeunes les créations d’aujourd’hui.

- GUARENE D’ALBA, Castello, 10 avril-21 mai.Fondazione Sandretto Re Rebaudengo, Corso Stati Uniti 39, 10129 Torino, tél. 39 01 15 62 55 36.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°515 du 1 avril 2000, avec le titre suivant : Patrizia Sandretto Re Rebaudengo : Collection Re Rebaudengo, du chic au choc

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