Monument - Urbanisme

Villefranche-sur-Mer désenclave sa citadelle

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 21 septembre 2022 - 1001 mots

VILLEFRANCHE-SUR-MER

La petite commune des Alpes-Maritimes s’appuie sur son patrimoine militaire pour développer un projet urbain qui conjugue attrait touristique et ambition artistique.

Citadelle de Villefranche-sur-Mer, restaurée avec ses nouvelles couleurs. © Mairie de Villefranche-sur-Mer
Citadelle de Villefranche-sur-Mer, restaurée avec ses nouvelles couleurs.
© Mairie de Villefranche-sur-Mer

Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Depuis le bastion de la darse, un panorama idyllique s’ouvre sur la rade de Villefranche-sur-Mer, coincée entre le cap Ferrat et le mont Boron qui sépare Nice de la petite station balnéaire. Malgré l’activité touristique, le bleu de la mer n’est pas ici constellé de yachts et navires de plaisance : la commune de 5 000 habitants parvient à préserver son paysage et ses herbiers de Posidonie en interdisant l’entrée aux bateaux de croisière, et en mettant en place des zones de mouillage réservées qui empêchent la prolifération des plaisanciers dans la rade. Avec cette approche pionnière sur la Côte d’Azur, la ville souhaite changer sa politique touristique.

Pour avoir une vision complète de cette stratégie, il faut arpenter les trois niveaux de la citadelle : l’ancien fort militaire du XVIe siècle était parsemé cet été d’interventions artistiques discrètes et poétiques de Jean-Baptiste Bernadet. Une mise en bouche de ce que sera la citadelle dans quelques années, tournée vers l’art contemporain et le patrimoine.

Tourisme raisonné et promenade artistique, Villefranche-sur-Mer a trouvé un positionnement en phase avec les aspirations de l’époque, se démarquant des autres stations de la Côte d’Azur. Au cœur de la ville, la citadelle sera un atout pour cette politique, du moins, dès qu’elle sera rendue plus accessible : sa seule entrée passe par un pont-levis du XVIe siècle. Entamé en septembre 2019, le chantier patrimonial actuel ambitionne d’intégrer la citadelle à la ville. « La commune a un potentiel d’aménagement assez extraordinaire, souligne Michel Trubert, architecte en chef des Monuments historiques chargé du chantier, l’emplacement de la citadelle en position de pivot peut permettre de redonner une centralité à une commune un peu éclatée. »

La citadelle retrouve son aspect originel

Bien visible au cœur de la ville, mais peu accessible, la citadelle a changé de teinte ces derniers temps, ce qui a pu désarçonner les habitants. Camille Frasca, directrice des musées de la citadelle et responsable culturelle de la ville, se souvient des regards interrogateurs devant les murailles désormais ocre [voir ill.]. « Ce n’est pas un caprice coloré, avertit-elle. Les Villefranchois avaient l’habitude d’une citadelle grisâtre, on a simplement restitué les enduits d’origine. » De l’ocre orangé au beige, les nuances d’enduits retrouvés durant les études préalables forment un camaïeu variant d’un mur à l’autre, restitué avec de la chaux et des pigments naturels par la société spécialisée dans le patrimoine SMBR.

À l’intérieur des murs, le défi consiste à relier les multiples niveaux tout en restituant une disposition des lieux historiquement cohérente. De terrasse en terrasse, la promenade est pour l’heure plus arborée, et sécurisée du côté de la mer. Sur les terrasses en pointe de ses fortifications, les échauguettes ont retrouvé leurs tuiles colorées, qui donnent une allure méridionale à l’austère fort militaire. Mais il faut encore de l’imagination pour visualiser ses futurs jardins : côté mont Alban, un espace test végétalisé donnera un aperçu du résultat dès la fin 2022.

Un parc muséal à moderniser

Si le fort du XVIe siècle se découvre aujourd’hui une vocation de grand parc urbain, son penchant culturel est manifeste depuis quarante ans. Le Musée Volti est établi dans le bastion de la Turbie, tout près du Musée Goetz-Boumeester qui, installé dans le bâtiment du casernement, présente la donation des œuvres d’Henri Goetz, celles de sa compagne Christine Boumeester et de leur cercle artistique : Picabia, Picasso, Hartung, Zao Wou-Ki. Fruit de diverses donations également, la collection municipale est conservée dans la citadelle, ainsi que celle du 24e bataillon de chasseurs alpins, derniers résidents militaires des lieux.

« Les musées ne sont pas en bon état, il y a du boulot, résume Camille Frasca. Quand je suis arrivée, j’ai trouvé un lieu incroyable, mais difficile à investir. » Volti et Goetz-Boumeester, tous deux labellisés « Musée de France », offraient une scénographie vieillissante et déséquilibrée. Côté restauration, la gangue de ciment qui recouvre les murs des salles et qui retient l’humidité doit être décroûtée pour faire respirer les maçonneries et rendre aux lieux une apparence plus authentique. La directrice des musées ne se fait pas d’illusion : « On n’aura jamais ici le “white cube” avec une hygrométrie parfaite. » Le Musée Volti sera ainsi envisagé comme un espace semi-extérieur pour la conservation des sculptures en bronze.

Aménagements culturels à l’échelle de la ville

Avec un projet scientifique et culturel en cours de rédaction, le pôle muséal est en pleine refonte. La collection militaire et le fonds municipal vont être fusionnés pour devenir le musée de la ville. Et le chantier des collections a déjà livré quelques belles surprises : une main d’Antoine Bourdelle et une toile d’Ilya Répine ont refait surface. Là aussi, la municipalité met les moyens pour mener le chantier de ses collections en souffrance, en ouvrant trois postes (régisseur, adjoint et chargé des publics). Un soulagement pour la directrice, également chargée des œuvres qui parsèment la ville, eux aussi prochainement réhabilités.

La darse de Villefranche et ses immenses arches creusées dans la montagne font l’objet d’un projet qui associe le département : un lieu unique, où l’on trouve une chapelle baptismale ornée de fresques du XVIIIe siècle et l’étonnant jardin de l’architecte Eugène Beaudoin. Dans la vieille ville, un artiste bien connu aurait manifesté son intérêt pour un immeuble patrimonial, afin d’en faire un centre d’exposition et de résidence. Au bout de la darse, le département a jeté son dévolu sur la tour d’un ancien lazaret, pour en faire une « zone artistique ». Dans la ville moderne, la municipalité projette d’installer un centre culturel, associé à une requalification du quartier.

« L’intérêt est de susciter l’accès et l’attrait dans chaque quartier », résume l’adjointe à la culture. La citadelle sera le pivot de cette myriade de projets culturels : le maire envisage une passerelle suspendue afin de créer un nouvel accès au nord du fort. Et faire ainsi de la citadelle un passage obligé entre la vieille ville et les autres quartiers.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Villefranche-sur-Mer désenclave sa citadelle

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