Histoire de l'art

Un héritage largement revendiqué

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 26 février 2024 - 826 mots

La peinture impressionniste attire le grand public et les musées l’ont bien compris, au risque de se répéter. Le 150e anniversaire du mouvement permet néanmoins la mise en valeur d’artistes moins connus, notamment étrangers.

Cru exceptionnel pour le monde de l’art, le 150e anniversaire de l’émergence du groupe en 1874 génère une inévitable cascade d’expositions. Une vingtaine sont ainsi recensées rien qu’en France, tandis que la cinquième édition du festival Normandie impressionniste ne revendique pas moins de 150 événements d’envergure variée – allant de l’installation contemporaine à la recréation d’œuvres emblématiques en briques Lego. Cette suractivité n’a rien d’étonnant, tant les manifestations consacrées à ce courant éminemment populaire sont synonymes de réussite en termes d’entrées et de recettes. Un chiffre parmi d’autres : le blockbuster Manet-Degas a comptabilisé l’année dernière plus de 669 000 visiteurs au Musée d’Orsay. Une fréquentation record, la troisième plus importante de l’établissement, qui a de quoi surprendre tant les expositions consacrées à ces deux géants sont fréquentes.

« des images heureuses »

« On nous interroge souvent sur cet engouement public qui ne se dément pas », confirme Cyrille Sciama, directeur du Musée des impressionnismes de Giverny. Nous le constatons tous les jours, les gens sont absolument fans de l’impressionnisme. Ce sont des images heureuses, qui répondent à une volonté un peu passéiste de retrouver une histoire française idéalisée. De plus c’est le ”grand art”, celui que l’on enseigne à l’école. Tout le monde est familier de cette peinture qui est facilement compréhensible et ne nécessite pas de connaissances pour être appréciée. » Cette popularité semble pour l’instant inaltérable, en France comme à l’étranger où ne compte plus le nombre d’expositions organisées localement ou de projets clé en main mis en itinérance, notamment par le Musée d’Orsay. En2023, l’établissement a ainsi organisé cinq projets hors les murs : de Budapest à Abu Dhabi en passant par Quimper et Melbourne. Cette appétence s’explique par l’attrait des visiteurs, gage de recettes confortables, mais aussi par la notoriété que confèrent les œuvres phares aux institutions qui les hébergent, leur permettant d’exister dans le concert des grands musées.La surexploitation de ce filon entraine logiquement une extension du label, car nombre d’événements estampillés portent désormais sur des artistes n’ayant pas appartenu au groupe fondateur. Ce positionnement qui met en valeur des peintres et des foyers moins connus permet d’obtenir des œuvres moins demandées que les pièces iconiques, et plus accessibles pour les institutions qui ne disposent pas d’œuvres majeures pouvant faire l’objet d’un contre-prêt. Il serait toutefois réducteur de ne voir dans cet élargissement qu’une démarche opportuniste. « À force de montrer toujours les mêmes artistes et les mêmes aspects, les musées finissent par traiter des micro-sujets. Il faut trouver des approches originales pour ne pas se répéter », avance Cyrille Sciama.

l’école bretonne

De fait, un peintre comme Edgar Degas, par exemple, a été décliné à toutes les sauces. Outre les rétrospectives, il y a eu des expositions consacrées à Degas et la danse, et le nu, et l’opéra, et le dessin, et les maîtres, etc. « L’ouverture à de nouveaux sujets est aussi liée à un renouvellement considérable de la recherche ». Les jeunes chercheurs en effet s’intéressent à de nouvelles perspectives sur le mouvement avec une focale plus grande. Cette vision moins puriste embrasse une temporalité plus large et des géographies « exotiques ». Outre les pré et post impressionnistes, les musées ont récemment exploré des segments inédits, notamment des écoles étrangères jadis peu montrées. Au cours des dernières années nous avons ainsi, entre autres, pu découvrir les foyers slovènes et canadiens. Cette réévaluation a aussi servi des artistes jadis peu valorisés comme Lovis Corinth (1858-1925) et Max Liebermann (1847-1935) en Allemagne. Ou encore Joaquin Sorolla (1863-1923), en Espagne. Progressivement des artistes partisans d’un version assagie de l’impressionnisme, à la lisière du naturalisme, ont également joui de cette ouverture de la définition impressionniste, à l’image d’Anna Boch, actuellement à Pont-Aven, ou de Constant Pape, exposé en ce moment à Issy-les-Moulineaux. Cette intégration de nouveaux foyers permet en outre d’étudier les développements tardifs de ce courant séminal. À l’image de l’école bretonne, qui a repris le flambeau après l’essoufflement des foyers normand et francilien. Ce regain d’intérêt a notamment remis en lumière des peintres comme Maxime Maufra, Henry Moret ou Ferdinand du Puigaudeau qui ont perpétué tardivement l’héritage impressionniste. Longtemps, seules les années héroïques du courant étaient valorisées. Ce n’est désormais plus le cas car la prise en compte de l’impressionnisme international repousse les limites chronologiques jusqu’à la première guerre mondiale. Loin de n’être qu’un moyen de tirer parti d’un mouvement plébiscité, cette approche élargie reflète la réalité de ce qu’a été l’impressionnisme. « Très tôt, c’est un mouvement qui bouge qui fait entrer d’autres artistes, qui accueille de jeunes générations et c’est d’ailleurs l’une de ses forces » explique Cyrille Sciama. « C’est un mouvement qui a été très fédérateur, il y a beaucoup d’artistes étrangers qui sont arrivés à Paris quand cette nouvelle manière de peindre triomphait et qui l’ont adoptée, profitant de son succès commercial. »

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°773 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : Un héritage largement revendiqué

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