Musée - Restauration

Arts premiers

Retrouver l’esprit Kanak

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 13 décembre 2011 - 737 mots

PARIS

En lien avec l’exposition prévue à l’automne 2013 sur la culture Kanak, le Musée du quai Branly fait restaurer un ensemble de masques de Nouvelle-Calédonie.

PARIS - Vestiges d’une tradition, aujourd’hui disparue, de la région nord de la Nouvelle-Calédonie, les douze masques Kanak que possède le Musée du quai Branly, à Paris, font l’objet d’une restauration méticuleuse. Symbolisant l’esprit des chefs défunts, ces masques permettaient aux vivants d’entrer en contact avec le monde des morts. Ils ont été conçus dans des matériaux organiques choisis pour leur fonction symbolique : des cheveux humains prélevés sur les chefs défunts, signe du temps qui passe ; des plumes, image du deuil ; du bois de « houp », réservé à la chefferie… La confection de ces masques imposants, dont la hauteur pouvait atteindre deux mètres, a cessé au début du XXe siècle.
Les œuvres conservées au Quai Branly étaient en très mauvais état. Les restaurateurs ont dû faire face à divers problèmes : altération structurelle des armatures liées aux anciens modes de stockage (les masques étaient suspendus), attaque d’insectes se nourrissant de la kératine des plumes, couvre-nuques déchirés, empoussièrement et encrassement général.

Soutenue par la Fondation BNP Paribas (familière de ce type d’opération), la campagne a débuté en février 2011 avec l’étude et l’analyse physico-chimiques des matériaux ; la restauration à proprement parler a démarré au mois d’avril. Confié au soin de six restaurateurs, le traitement des masques doit s’achever début 2012 (dix masques sur douze ont pour l’heure été restaurés). « Le principe a été de comprendre l’objet et de lui restituer sa lisibilité. Restaurer, c’est redonner à voir. Quand une plume était perdue, nous ne l’avons pas remplacée. En revanche, nous avons réparé et nettoyé chacune des plumes existantes, en les consolidant avec des atèles internes et externes », explique Stéphanie Elarbi, restauratrice au Quai Branly.

Voir l’intérieur de l’objet
C’est donc un véritable travail de fourmi qu’ont entrepris les équipes. Les structures des coiffes ont été consolidées et des socles pérennes ont été conçus pour supporter les masques, les préserver et les exposer sans risques. Pour localiser précisément les problèmes spécifiques à chaque œuvre, l’institution a fait l’acquisition d’un logiciel permettant de traiter les images numériques réalisées en milieu médical. Transporté à l’hôpital, le masque y est scanné ; les données numériques issues de l’examen sont ensuite transférées sur le serveur du musée qui peut visualiser les œuvres en 3D depuis n’importe quel ordinateur. « Ici, on pénètre à l’intérieur de l’objet. On peut tout voir, tout localiser et éviter les interventions abusives. C’est un outil formidable pour les restaurateurs mais aussi pour les conservateurs et le travail d’inventaire, pour les muséographes et la restitution au public », se réjouit Christophe Moulherat, chargé de conservation préventive au Quai Branly.

Très coûteuse, l’acquisition de ce type de scanner pourrait être envisagée dans le cadre d’une mutualisation entre différents musées, à l’instar d’Aglaé, l’accélérateur de particules du Centre de recherche et de restauration des musées de France installé au Louvre. L’analyse en 3D a révélé quantité d’informations nouvelles sur le corpus des masques. Ainsi, a été découvert à l’intérieur de l’un d’entre eux, un tissu très infesté : ce gilet occidental du XIXe siècle utilisé comme poids pour maintenir la tête va permettre de proposer une datation plus précise. « Ces objets sont difficiles à replacer dans le temps. En analysant les masques, une chronologie se dessine. On retrouve également un savoir technique que l’on croyait oublié et, en redonnant une identité à ces objets disparus du quotidien, on participe à la préservation de la mémoire immatérielle de Nouvelle-Calédonie », note Emmanuel Kasarhérou, ethnologue Kanak, ancien directeur de l’Agence de développement de la culture Kanak. Il sera le commissaire, avec Roger Boulay, ethnologue et spécialiste de la culture océanienne, de la grande exposition que prépare le Musée du Quai Branly sur la culture Kanak.

Restaurés pour l’occasion, les douze masques feront partie des pièces maîtresses de cette manifestation qui réunira, d’octobre à décembre 2013, quelque 300 œuvres. Le président du Quai Branly, Stéphane Martin, est en pourparlers afin de présenter l’exposition à Nouméa en 2014. L’événement a, en outre, servi de point de départ à une vaste mission d’inventaire des collections Kanak conservées en France. Plus de 70 musées français sont d’ores et déjà concernés. L’inventaire va être mené à l’échelle européenne, bouclant la boucle d’une opération exemplaire associant ethnologues, restaurateurs et conservateurs de part et d’autre du globe.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°359 du 16 décembre 2011, avec le titre suivant : Retrouver l’esprit Kanak

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