Archéologie

Olivier Blin : « On étudie le sens que les individus donnent à leur enfermement »

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 12 mai 2020 - 553 mots

Olivier Blin est archéologue à l’Inrap. Il a dirigé en 2016 un numéro des Nouvelles de l’archéologie consacré à l’« archéologie de l’enfermement » et prépare actuellement un ouvrage collectif sur ce sujet devenu d’actualité

Comment s’est développée cette archéologie que l’on pourrait appeler du « confinement » ?

Les archéologues ont toujours fouillé les lieux d’enfermement (camps militaires, refuges, abbayes, prisons, etc.), mais c’est un domaine d’étude et de réflexion qui se développe aujourd’hui en s’appuyant sur un certain nombre de sciences connexes : l’anthropologie sociale, la carpologie, qui étudie les restes de graines anciennes, les sciences dites « dures » qui permettent par exemple d’analyser des ADN ou encore l’archéozoologie, qui rend possible l’étude des animaux domestiques comme de ceux qui ont été consommés.

Quelles sont les différentes raisons pour lesquelles les hommes se sont confinés dans l’histoire ?

Les sites où les individus vivent à l’écart du reste du monde sont d’une grande diversité. L’archéologie de la réclusion et de l’enfermement s’intéresse aussi bien à des sites abbatiaux, où l’enfermement est volontaire, avec une forte dimension symbolique, qu’à des prisons ou encore des asiles où l’on enferme les fous. On peut également être confiné dans des camps de militaires, de prisonniers ou de concentration. Il arrive aussi que des individus s’enferment temporairement dans des refuges, pour se protéger. C’est par exemple ce qui s’est passé en 1944 dans la carrière-refuge de Saingt, à Fleury-sur-Orne près de Caen. Le site a été fouillé en 2015. Les archéologues de l’Inrap, Vincent Carpentier et Cyril Marcigny, ont établi qu’une société s’y était reconstituée, avec une hiérarchie sociale. Des rues avaient été aussi tracées, avec un sens de circulation, et l’on s’y déplaçait même à vélo…

Que nous apprend l’archéologie au sujet du confinement ?

Dans ces sites, les fouilles nous apprennent tout ce que les textes historiques ou les témoignages ne nous disent pas : à travers des inscriptions laissées sur des murs, on étudie par exemple le sens que les individus donnent à leur enfermement ou les tensions que génère ce dernier, la façon dont ils organisent leur espace, leur quotidien, comment ils s’alimentent, comment se réorganisent les relations sociales… Avec le confinement que nous vivons en 2020, toutes ces questions trouvent d’un coup un écho particulier !

Pensez-vous que la pandémie actuelle laissera des traces pour les archéologues du futur ?

Peut-être quelques traces en seront-elles conservées dans certains pays très peuplés, en Afrique, en Inde, ou encore en Équateur, où les cadavres jonchent les rues, ou même à New York ! Si les archéologues exhument ces fosses où des centaines de corps sont enterrés à la hâte, quelle interprétation en donneront-ils dans quelques siècles ?
 

Fleury-sur-Orne

Pendant l’été 1944, prèsd’un millier de civils se mettentà l’abri dans les carrières des frères Saingt (photos ci-dessus) pour se protéger des bombardements de la ville de Caen, détruite à 75 %.


L’INRAP

Créé en 2001, l’Institut nationalde recherches archéologiques préventives assure l’exploitation scientifiquedes opérations d’archéologie préventive et la diffusion de leurs résultats.


« Il faudrait aussi explorer la diversité du vocabulaire, de la signification des mots et de leur évolution au cours du temps […] : clôture, séparation, enclos, carcéral, pénitentiaire, prison, bagne, cachot, case (d’esclave), habitation (d’esclave, de prisonnier, de condamné), camp, cantonnement, quartier… Un autre chantier à mettre en œuvre. » Olivier Blin, Les Nouvelles de l’archéologie, n° 143.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°734 du 1 mai 2020, avec le titre suivant : Olivier Blin : « On étudie le sens que les individus donnent à leur enfermement »

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