Chine

Le patrimoine sous les eaux

Le Journal des Arts

Le 3 février 2006 - 835 mots

Plusieurs projets de canaux d’irrigation pourraient avoir des effets destructeurs sur des sites protégés. Les archéologues se mobilisent.

LONDRES - La Chine prépare une gigantesque opération de sauvetage archéologique sur des centaines de sites menacés par le projet de dérivation hydraulique sud-nord. Ce programme ambitieux de 100 milliards de yuans (10 milliards d’euros) concerne le détournement annuel de 44 milliards de m3 d’eau du fleuve Yangtsé vers les provinces arides du nord, grâce à trois canaux s’étirant chacun sur 1 200 km à l’est, au centre et à l’ouest du pays. L’urgence est telle que les archéologues ont dû interrompre presque toutes leurs autres activités dans l’ensemble de la Chine pour se concentrer sur les sites menacés par le tracé des canaux.

Un programme de sauvetage avait d’abord été formulé à la fin des années 1950, lors du début des travaux pour le réservoir de Danjiangkou, sur la rivière Hiaijiang, un affluent du Yangtsé dans la province d’Hubei (centre de la Chine). Ce réservoir a été rempli en 1974, et a provoqué des dommages considérables sur nombre de vestiges culturels. Le programme a été relancé en 2002. Le canal de l’Est devrait commencer à alimenter en eau la province de Shandong dès 2007, le canal du Centre, reliant Danjiangkou à Pékin, devant ouvrir quant à lui en 2010.

Sites en danger
En novembre 2005, le gouvernement chinois a annoncé qu’un budget spécial de 50 millions de yuans (5 millions d’euros) serait réservé à la protection de 45 sites importants, menacés par la construction des canaux de l’Est et du Centre. Cet ensemble ne représente qu’une faible part des 788 sites en danger identifiés par le Bureau national des trésors culturels, rebaptisé Administration nationale du patrimoine culturel. Malgré ses efforts pour éviter la répétition du désastre du barrage des Trois-Gorges, où l’insuffisance du financement et de la coordination n’a permis que des sauvetages archéologiques hâtifs et improvisés (lire le JdA no 175, 29 août 2003), beaucoup craignent que l’action du gouvernement chinois n’ait été, une fois de plus, que trop tardive et limitée. Un article du quotidien chinois China Daily cite un représentant du service en charge du projet, qui reconnaît que les changements répétés apportés au tracé des canaux ont conduit à une « protection du patrimoine qui reste à la traîne du chantier des deux canaux ».

« Homo erectus »
Cette affaire a mis en lumière la frustration croissante des archéologues chinois devant une succession de projets hydroélectriques gigantesques faisant peu de cas de la préservation du patrimoine culturel. Selon la lettre d’information du China Heritage Project (« Projet du patrimoine de Chine »), que publie la Research School of Pacific and Asian Studies de l’Australian National University à Canberra, jusqu’à ces derniers mois tout débat sur les répercussions environnementales et patrimoniales de ces chantiers était interdit (les comptes rendus de réunions où s’étaient exprimées des opinions dissidentes étant même classés « renseignements secrets »).

En 2002, un scandale a éclaté avec la révélation de tentatives gouvernementales pour interdire toute diffusion d’informations à propos du barrage de Zipingpu, dans le sud-ouest de la Chine, qui menaçait le système d’irrigation Dujiangyan, vieux de deux mille deux cent cinquante ans et classé au patrimoine mondial par l’Unesco en 2000. Depuis, des signes indiquent l’apparition possible de débats plus ouverts sur les répercussions écologiques et culturelles de ces projets. Pour le projet de dérivation hydraulique, l’Administration nationale du patrimoine culturel n’a pas été associée aux premières négociations de 2002, et sa présence ne fut requise qu’à partir d’avril 2004.

Cette administration a préconisé que la mission de sauvetage se concentre dans l’immédiat sur les sites de la zone du réservoir de Danjiangkou et sur le tracé du canal de l’Est. Sur une partie de son cours, ce dernier utilisera le Grand Canal, le plus ancien et le plus long canal du monde, creusé en 486 av. J.-C. Son impact frappera principalement les infrastructures de cette voie d’eau et d’autres anciens canaux. La construction du canal du Centre risque d’être beaucoup plus destructrice, car il traverse des régions qui furent le berceau de l’ancienne civilisation chinoise, remontant à certains des plus anciens vestiges de l’Homo erectus. De nombreux sites funéraires et cimetières qui s’y sont succédé depuis le néolithique seront touchés, notamment d’importants vestiges des dynasties Xia et Zhou, et même une partie de la Grande Muraille.

Effets stimulants
Le niveau du réservoir de Danjiangkou sera considérablement relevé et menacera les vestiges des deux palais du complexe taoïste des montagnes du Wudang, site classé au patrimoine mondial par l’Unesco en 1994. Des projets ont été avancés pour déplacer ou surélever le palais Yuzhengong, vieux de six cents ans, même si quelques avis suggèrent de le submerger, après l’incendie qui l’a en grande partie détruit en 2003. Le sort des vestiges du palais Yuxu n’a pas encore été fixé.

Malgré l’inquiétude profonde pour les risques encourus par leur patrimoine, les archéologues chinois sont conscients des effets stimulants pour leur discipline de cette énorme entreprise et des sommes qui s’y trouvent engagées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°230 du 3 février 2006, avec le titre suivant : Le patrimoine sous les eaux

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