Belgique - Musée

Le Musée Gruuthuse, à Bruges

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 28 août 2019 - 1307 mots

BRUGES / BELGIQUE

Après cinq années de travaux, le Gruuthusemuseum, musée dédié aux arts appliqués et à l’histoire de Bruges, a bénéficié d’une rénovation importante et réussie.

Le Gruuthusemuseum de Bruges. © Photo Wolfgang Staudt, 2008
Le Gruuthusemuseum de Bruges. © Photo Wolfgang Staudt, 2008

C’est un mot presque imprononçable pour un non-néerlandophone. Derrièrece nom mystérieux, dont on imagine difficilement à quel type de musée il peut renvoyer, se cache en réalité un célèbre patronyme brugeois. Le musée était en effet initialement le palais urbain de Louis de Gruuthuse, un seigneur dont la famille a bâti un véritable empire grâce à la boisson nationale du plat pays, la bière. Car les Gruuthuse possédaient un juteux monopole sur le gruit (ou gruut), un mélange d’herbes utilisé pour aromatiser et conserver le précieux liquide. Depuis 1200, ils avaient le droit de prélever une taxe très rentable sur chaque hectolitre de bière produite ou importée à Bruges et dans la châtellenie du Franc de Bruges… De quoi leur assurer une solide fortune. L’imposant hôtel particulier médiéval que le visiteur peut encore admirer aujourd’hui était d’ailleurs à l’origine un entrepôt où était stockée cette matière première.

« Plus est en vous »

Au début du XVe siècle, la prospère famille, soucieuse d’afficher sa réussite et son ascension sociale, transforma l’entrepôt en un luxueux palais. Louis de Gruuthuse (1422-1492) lui donna sa physionomie définitive, en dotant notamment le monument du superbe oratoire qui relie la demeure à l’église Notre-Dame attenante. L’oratoire privé permettait au seigneur d’assister à la messe sans avoir à quitter son palais. Il offre aujourd’hui une vue imprenable sur la magnifique église qui renferme un remarquable décor de la fin du Moyen Âge et la fameuse Madone sculptée par Michel-Ange. Le seigneur voulait clairement inscrire dans la pierre la réussite de sa dynastie mais aussi asseoir son nouveau statut personnel. Louis hérite en effet de ses parents de nombreux titres. Il est notamment seigneur de Beveren et prince de Stenhuis ; une fortune qui lui permet de mener une brillante carrière politique. Adolescent, il est nommé écuyer échanson de Philippe le Bon et intègre la prestigieuse cour de Bourgogne. Le jeune homme se fait ensuite remarquer par ses talents militaires et diplomatiques, menant aussi habilement les troupes que les négociations commerciales.

Ce confident de plusieurs générations de ducs de Bourgogne et membre de la très chic Toison d’or devient rapidement l’une des personnalités les plus en vue de Bruges et un mécène prolifique, comme le rappelle son effigie réalisée par le Maître des portraits princiers qui accueille aujourd’hui le visiteur de sa demeure. En quelques années, Louis constitue de fait l’une des plus riches collections de manuscrits, aujourd’hui en grande partie conservée à la Bibliothèque nationale de France, le reste de sa collection d’œuvres et d’objets d’art ayant été dispersé. Et si l’on peut admirer de nombreux trésors dans son palais, très peu sont étroitement liés à la destinée de Louis. Sa devise « Plus est en vous » est en revanche encore omniprésente dans le décor.

Un temple néogothique

À l’orée du XVIIe siècle, le destin du palais bifurque de manière inattendue quand le roi d’Espagne Philippe IV achète l’immense hôtel particulier et en fait don au mont-de-piété. Le sort de ce joyau patrimonial ne s’arrête toutefois pas là, car, après avoir hébergé des seigneurs puis des prêteurs sur gages, il embrasse une troisième vocation en devenant musée à la fin du XIXe siècle. En 1865, en plein âge d’or des sociétés savantes, la ville se dote d’une Société archéologique afin de rassembler des objets d’art et d’ethnographie retraçant l’histoire de Bruges et des Flandres. En quelques années à peine, passionnés et érudits amoncellent un véritable butin composé d’œuvres d’art, de fines dentelles, de pièces d’orfèvrerie, de tapisseries, de meubles, de céramiques ou encore d’instruments de musique et de bijoux. Une collection si plé-thorique que la cité acquiert le vaste palais Gruuthuse pour servir d’écrin à ce fonds.L’hôtel particulier, qui compte vingt-deux pièces tout de même, fait alors l’objet d’une profonde rénovation et d’une remise au goût du jour sous la houlette de Louis Delacenserie, un célèbre architecte-restaurateur dont les interventions maximalistes lui valent le surnom de Viollet-le-Duc flamand. Delacenserie est un zélateur du style néogothique qui fait alors fureur dans toute l’Europe et a fortiori à Bruges où l’on redécouvre le glorieux passé médiéval de la cité et notamment les primitifs flamands. Les restaurations néogothiques et historicisantes fleurissent alors dans la ville sur fond d’aspirations nationalistes dans le tout jeune État belge qui voit dans ce style l’incarnation d’un passé commun et idéal. La restauration du palais est en tous points emblématique de ce courant car l’architecte tente de gommer les adjonctions ultérieures au Moyen Âge pour retrouver l’état gothique le plus harmonieux possible, quitte à inventer des éléments et à en supprimer d’autres. Le décor tente également de retrouver cet âge d’or des primitifs tout en cherchant à évoquer le cadre de vie d’une famille patricienne du XVe siècle, ce qui en fait aujourd’hui un exceptionnel temple du néogothique.

Un nouveau musée 

Après cinq années de travaux, ce n’est pas un musée rénové que les visiteurs ont découvert, mais presque un nouveau musée. L’établissement n’a en effet pas uniquement bénéficié d’un vaste chantier de rénovation et de restauration, il a aussi fait l’objet d’une refonte totale de son parcours qui traduit le nouveau positionnement scientifique et culturel de l’établissement. Jadis musée des arts appliqués, il s’est ainsi transformé en musée d’histoire de la ville de Bruges. Un outil pédagogique qui faisait défaut dans cette cité qui accueille chaque année quelque huit millions de visiteurs attirés par le patrimoine et donc l’histoire de Bruges. La présentation typologique d’objets, héritée de la muséographie du XIXe siècle, a ainsi cédé la place à un discours plus contextuel et transversal. Plus lisible et plus didactique, ce parcours intègre harmonieusement de nombreux dispositifs de médiation, notamment numériques. Chaque étage raconte une période phare de l’histoire de Bruges : le siècle d’or bourguignon, les temps modernes et, enfin, le mouvement néogothique qui a tant façonné la cité.

Isabelle Manca

 

Gruuthusemuseum, Dijver 17C, Bruges (Belgique), www.visitbruges.be/fr

Oratoire 

C’est l’un des très rares espaces médiévaux à avoir échappé aux restaurations radicales de Louis Delacenserie. Cette pièce gothique entièrement habillée de bois peint offre un point de vue privilégié sur l’église Notre-Dame. Elle permettait à Louis de Gruuthuse d’assister à la messe sans quitter son palais. Une minutieuse campagne de restauration a permis de ressusciter ce précieux témoignage évocateur de la vie dans l’hôtel particulier au XVe siècle.

Hall d’entrée 

Aménagé lors de la transformation de l’hôtel particulier en musée, le hall d’entrée du palais est un manifeste du style néogothique. Le visiteur est immédiatement frappé par son magnifique plafond en bois sculpté polychrome et doré qui regorge de détails renvoyant au commanditaire, dont sa devise, ses armoiries, ses initiales et le collier de la Toison d’or. La restauration a par ailleurs permis de retrouver les motifs d’imitation de briques typiques de la fin du XIXe siècle.

Pavillon d’entrée 

Dans une cité parfois critiquée pour son aspect de ville-musée, le projet du nouveau pavillon d’entrée a de quoi surprendre. Le musée a en effet opté pour une structure métallique épurée qui se fond parfaitement dans son environnement tout en revendiquant son caractère contemporain. La création de ce pavillon permet de cloisonner la cour et de lui rendre son caractère intime initial, mais aussi de sortir les services et la billetterie du palais afin d’augmenter sensiblement les surfaces d’exposition.

Attique 

Difficile d’imaginer qu’il y a encore quelques années, cet espace servait de réserve. Au terme d’un vaste chantier, l’attique vient de retrouver son faste ornemental, à commencer par sa spectaculaire charpente peinte en rouge et noir et ponctuée de la devise de Louis de Gruuthuse. Ce grenier, où s’achève le parcours du visiteur, a été transformé en lieu d’échange, de lecture et de présentation de projets participatifs menés par des artistes contemporains avec des jeunes autour de l’histoire de Bruges.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°726 du 1 septembre 2019, avec le titre suivant : Le Musée Gruuthuse, à Bruges

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