Art moderne

L’arche de Gustave Moreau

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 8 avril 2021 - 556 mots

Les animaux et les personnages des Fables de La Fontaine illustrées par Gustave Moreau, qui auraient bien pu disparaître, retrouvent le temps d’une exposition, à Paris, la maison-atelier qui les a vus naître.

Dans le rôle du lion des Animaux malades de la peste, Brutus, félin venu du Soudan ; dans celui de l’éléphant de la fable Le Rat et l’éléphant, Bangkok, un pachyderme indien. Dès 5 heures, Gustave Moreau se lève, emporte son matériel à dessin, son repas qu’il prendra sur le pouce avec un peu de vin rouge, pour se rendre au Muséum d’histoire naturelle où il croque les animaux qui peupleront ces illustrations de Fables de La Fontaine, qui l’occupent de 1879 à 1884. L’origine de cet ambitieux projet, qui l’amènera à peindre une série de 64 aquarelles ? La commande du collectionneur Antony Roux. Par leurs couleurs chatoyantes, leurs animaux éloignés de tout anthropomorphisme, leur atmosphère de contes des Mille et Une Nuits, les illustrations de Gustave Moreau détonnent avec celles qui les ont précédées, des gravures de François Chauveau, pour la première édition des Fables choisies en 1668, à celles de Gustave Doré, en 1867, empreintes de fantastique. « Ces œuvres sont aussi uniques dans l’œuvre de Moreau, dont elles révèlent un talent méconnu de peintre naturaliste », souligne Marie-Cécile Forest, directrice du Musée Gustave Moreau et co-commissaire de l’exposition que l’établissement consacre à la série du peintre sur les Fables de La Fontaine.

34 aquarelles rescapées

Si Antony Roux renonce à son idée initiale d’une édition illustrée des Fables, les aquarelles de Moreau sont exposées à Paris en 1881, aux côtés de celles d’une soixantaine d’artistes, puis à Londres cinq années plus tard. Le public et la critique s’émerveillent. Elles sont montrées une dernière fois en 1906, sous l’égide de Robert de Montesquiou et de la comtesse Greffulhe, tous deux amis de Marcel Proust, alors trop malade pour aller voir l’exposition. Quant à Antony Roux, « il s’est épris de ces aquarelles au point de construire, dans sa maison marseillaise, une galerie avec une salle pour les exposer et faire réaliser des cadres-châssis pour les transporter lors de ses séjours à Paris ou en Suisse, pour ses cures thermales ! », raconte Marie-Cécile Forest. Tous ces animaux, toutes ces belles créatures orientales auraient pourtant bien pu périr pendant la Seconde Guerre mondiale. Certaines, d’ailleurs, sont depuis portées disparues. Elles ne nous sont connues que par des photographies ou des dessins préparatoires. Déjà, de son vivant, Antony Roux avait vendu l’une d’elles, L’Homme entre deux âges et ses deux maîtresses, dont on a désormais perdu la trace. À la mort du collectionneur, le 14 octobre 1913, ses aquarelles sont acquises par Miriam Alexandrine de Goldschmidt-Rothschild. En 1936, cette dernière offre Le paon se plaignant à Junon au Musée Gustave Moreau, lui permettant ainsi de compléter la riche collection de 363 esquisses et de dessins préparatoires pour cette série. Trois ans plus tard, la Seconde Guerre mondiale éclate. Sur les soixante-quatre aquarelles que compte la série, vingt-huit seront spoliées par les nazis. Les trente-quatre rescapées, aujourd’hui conservées en mains privées, retrouvent le temps de l’exposition leur maison natale et les dessins préparatoires de l’ensemble de la série. Les pièces rassemblées, accompagnées d’un riche catalogue, sont réunies dans un superbe album des soixante-cinq Fables de La Fontaine illustrées par l’artiste… qui aurait fait le bonheur d’Antony Roux.

« Gustave Moreau. Les Fables de La Fontaine »,
Musée national Gustave Moreau, 14, rue de La Rochefoucauld, Paris-9e. Commissaires : Marie-Cécile Forest, Jean-Jacques Henner et Dominique Lobstein. musee-moreau.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°743 du 1 avril 2021, avec le titre suivant : L’arche de Gustave Moreau

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