Église - Restauration

La Sainte-Chapelle hisse haut ses couleurs

Par Virginie Duchesne · L'ŒIL

Le 22 janvier 2015 - 1363 mots

Après huit ans de travaux, une vaste campagne de restauration s’achève sur les verrières de la façade sud avec, en point d’orgue, la repose de la rose occidentale à la fin du mois de février.

« Je suis soulagée que tous les vitraux soient enfin arrivés », confie Claire Babet qui gère l’atelier de restauration choisi pour les baies de la façade sud. Elle et son équipe apportent les dernières pièces de ce puzzle géant de 220 m2. Les panneaux sont montés un à un sur les paliers de l’échafaudage de 20 m de hauteur monté au cœur de la chapelle haute. Un travail considérable de nettoyage, restauration et remontage commencé il y a deux ans prend fin en cette matinée glaciale de décembre dernier. Vingt baies de 270 panneaux en moyenne retrouvent ainsi leur éclat. Ce jour-là, c’est celle de la Genèse, la dernière, qui est reconstituée petit à petit. Chaque élément est pincé entre la barlotière, structure en métal qui prend toute la baie et accueille le vitrail, et une clavette, petite barre qui maintient le panneau en place. « Ce système est exactement le même qu’au XIIIe siècle », fait remarquer la restauratrice. Les techniques et les gestes semblent immuables. L’ensemble des serrureries de l’époque est d’ailleurs toujours en place après avoir résisté à 700 ans d’intempéries, d’histoire et d’innovations.

Un écrin de lumière
Consacrée en 1248, la Sainte-Chapelle est élevée par saint Louis au cœur du Palais de la Cité. Elle doit accueillir les reliques de la Passion acquises par le roi de France dix ans auparavant auprès de Baudouin II de Courtenay, dernier empereur latin de Constantinople. Construite en un temps record – moins d’une dizaine d’années –, elle est conçue comme un écrin de lumière avec ses quinze verrières qui représentent plus de 750 m2 de verre. Parmi les représentations inspirées de l’Ancien Testament et de la vie du Christ, le roi se met lui-même en scène à trois reprises : lors de l’acquisition des reliques, lors de la construction du lieu même et lors de son départ pour la septième croisade, en 1248 justement. En haut de son échafaudage, sur les traces des artisans, Claire Babet poursuit la repose de la baie de la Genèse, depuis son sommet jusqu’à sa base. À vue d’œil non initié, la beauté des scènes est sidérante et la minutie impressionnante pour des œuvres parfois invisibles depuis le sol. « Sur cette baie, contrairement à toutes les autres, nous avons une majorité de verres du XIXe siècle », indique la restauratrice. Une critique d’authenticité sur l’ensemble des vitraux démontés a en effet été effectuée en parallèle de la restauration. Réalisée en partenariat avec le Centre André Chastel, laboratoire de recherche en histoire de l’art, elle a permis de dater précisément chaque élément. Si la majorité des verres sont du XIIIe siècle, certains, trop endommagés, ont été remplacés au XIXe siècle, lors de la première grande campagne de restauration de la Sainte-Chapelle.

La restauration du siècle
Cette grande campagne est engagée à la fin des années 1830 sous la conduite des architectes Jean-Baptiste-Antoine Lassus et Jacques Félix Duban, assistés d’Eugène Viollet-le-Duc. « À ce moment-là, à la naissance de l’école des monuments historiques, on tend avant tout à magnifier le monument », rappelle Danièle Déal, directrice de la conservation des monuments et des collections au Centre des monuments nationaux. Tout ce qui est abîmé est donc remplacé. Les vitraux démontés sont conservés au Musée de Cluny et à Champs-sur-Marne, où ils se trouvent toujours. Une patine foncée est posée sur le verre pour lui donner un aspect ancien et l’ensemble est renforcé par l’ajout d’éléments, comme des plombs, qui maintiennent les verres entre eux, et les vergettes, tiges métalliques qui consolident le vitrail entier. Ce qui assombrit l’intérieur de l’édifice.

Le but de la campagne en cours est donc de retrouver l’éclat du verre coloré et la lisibilité des scènes créées il y a 700 ans, tout en suivant les maîtres-mots du restaurateur contemporain : conservation et réversibilité des interventions, dans la droite lignée de la Charte de Venise de 1964. Tous les verres, qu’ils soient des XIIIe, XVe ou XIXe siècles, ont été conservés. La position des vitraux également. En effet, la lecture des psaumes dans la Bible de saint Louis ne suit pas le même ordre. Faute de documents précis pour rétablir le sens de lecture ancien, celui du XIXe siècle a été conservé. Toutefois, les plombs, tous du XIXe siècle et trop endommagés, ont été changés sans regret. Quant à la grisaille disparue ou abîmée – cette peinture au pinceau posée directement sur le verre pour les détails est très fragile –, elle a été redessinée sur un second verre posé sur l’ancien pour rendre l’harmonie de la scène, sans intervenir sur le support originel. Mais les dix années d’études menées en amont du chantier ne pouvaient pas tout prévoir, comme dans le cas de la rose.

Le « roman » de la rose
« On ne peut pas tout savoir avant d’avoir les yeux dessus », observe Danièle Déal. Le programme de restauration de la rose occidentale a été revu après son démontage seulement. Remplacée une première fois à la fin du XVe siècle par une rose de style flamboyant, elle fut ensuite largement modifiée lors de la campagne du XIXe siècle. Les architectes décident de changer le positionnement des vergettes selon un ordre concentrique et non horizontal sur toute la surface de la verrière, afin de suivre au mieux la forme de la rose mais non la lisibilité des scènes. La restauration actuelle devait suivre ce même schéma, les archives sur la rose ancienne étant trop partielles. Mais lors du nettoyage de ces vitraux par l’atelier Vitrail France, dirigé par Emmanuel Putanier, les restaurateurs ont découvert sous les ajouts et modifications du XIXe siècle les traces des anciens plombs et vergettes que le premier nettoyage de l’époque n’avait pas effacées. « L’étude archéologique des panneaux débarrassés de leurs plombs parasites a révélé les repères de mise en plomb choisis au XVe siècle. Cartonnier et peintre verrier, suivant les habitudes du métier, avaient tenté d’intégrer le plus habilement et le plus discrètement possible le réseau de vergettes dans la résille des plombs : les témoins de cette disposition originale sont en effet des plombs rectilignes, disposés régulièrement, mais aussi de façon à ne pas couper les parties essentielles de chaque scène (visages, détails importants de l’iconographie, etc.) », explique Michel Hérold, conservateur général du patrimoine et directeur du comité français du Corpus Vitrearum. Ainsi la décision a-t-elle été prise de rétablir la disposition d’origine des plombs et des vergettes qui suivent minutieusement les dessins pour leur rendre toute leur lisibilité.

À l’attaque de la face nord
Quand la tradition rencontre l’innovation, cela donne la création d’un verre de doublage pour toutes les verrières restaurées. Pour pérenniser l’intervention, un second vitrage translucide a en effet été posé à quelques centimètres de chacun des verres originels, sur la structure métallique du XIIIe siècle qui est ainsi toujours visible de l’extérieur. Ce vitrage thermoformé qui épouse les moindres dessins du vitrail d’origine protègera à l’avenir les vitraux anciens de la pollution extérieure, de la condensation et des perturbations climatiques, les principaux facteurs de détérioration sévère, tout en assurant leur lecture depuis la cour. Cet important et exceptionnel chantier de restauration, mené entre 2006 et 2009 par la Drac, puis par le Centre des monuments nationaux depuis 2008, a reçu un mécénat des Fondations Velux à hauteur de 5 millions d’euros pour un coût total de 10,4 millions d’euros et devrait avoir une suite : d’ici à deux ans, le CMN souhaiterait engager la restauration de la façade nord qui fait désormais grise mine à côté de son pendant éclatant. 

1248 Consécration de la Sainte-Chapelle
1490 Pose de la nouvelle rose occidentale de style flamboyant
1797 L’édifice abrite les archives du palais de justice. Les statues des apôtres sauvées sont envoyées au Musée des monuments français
Annés 1830 Début de la première campagne de restauration du monument
1938 Démontage des vitraux à la veille de la guerre
Février 2014 Repose de la rose occidentale qui signale la fin du chantier de restauration

Sainte-Chapelle

Ouverte tous les jours, du 1er novembre au 28 février de 9 h à 17 h et du 1er mars au 31 octobre de 9 h 30 à 18 h. Nocturne le mercredi du 15 mai au 15 septembre jusqu’à 21 h. Tarifs : 8,5 et 5,5 €. sainte-chapelle.monuments-nationaux.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°676 du 1 février 2015, avec le titre suivant : La Sainte-Chapelle hisse haut ses couleurs

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