Italie - Patrimoine

La pilotta, citadelle des Farnèse

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · L'ŒIL

Le 26 février 2024 - 1398 mots

Au centre de Parme, ce palais du XVIe siècle impressionne par son aspect sobre et grandiose. Il abrite l’une des plus riches collections d’art italiennes, mais aussi un théâtre d’époque entièrement restauré.

Ses façades d’un brun clair s’élèvent en plein quartier historique de Parme, tendant au gris plus foncé ou à l’ocre suivant les jeux d’ombres et de lumière. Et c’est, justement, à un jeu que le complexe monumental de la Pilotta doit son nom : la pelote basque, pratiquée à l’intérieur d’une des cours à l’époque de sa construction. La sobre élégance de cet ensemble fait oublier le manque d’harmonie apparent, dû aux vicissitudes de l’histoire. Celle-ci commence quelques décennies après la création en 1545 par Alexandre Farnèse, devenu le pape Paul III, du duché de Parme et de Plaisance au profit de son fils. C’est son petit-fils, Octave Farnèse (1524-1586), qui lance les premiers travaux en 1580. Il confie le projet à l’architecte militaire Francesco Paciotto, renommé moins pour les nombreuses citadelles qu’il bâtit pour les ducs de Savoie que pour sa construction, en Espagne, de la basilique de l’Escurial. La Pilotta s’inspire ainsi de l’architecture austère du palais-monastère du roi Philippe II, édifié près de Madrid entre 1563 et 1584. On y retrouve cet assemblage de bâtiments à usage civil ou religieux autour de cours carrées reliées aux galeries par de grands porches, mais surtout un escalier monumental en ciseaux, modelé sur celui de l’Escurial (1571). Le tout premier exemple, en Italie, d’escalier dit « impérial » à trois rampes, couvert d’une coupole octogonale. Un corridore, grande galerie avec des arcades, est l’axe autour duquel se développe le complexe monumental de la Pilotta. Il unissait le palais ducal à l’ancienne forteresse des Visconti, un donjon médiéval sur les rives du fleuve dont il ne reste que des vestiges. Les travaux s’interrompent à la mort d’Octave Farnèse et ne reprennent qu’en 1602 sous l’impulsion de son petit-fils, Ranuce Ier (1569-1622) qui décide de profondément remodeler son palais. La tâche de donner à cette « sévère caserne » le faste d’un palais maniériste, comme l’exige le goût de l’époque, est confiée à Simone Moschino (1553-1610). Cet architecte et sculpteur a prouvé dans les jardins de Bomarzo, près de Rome, qu’il ne manque ni de talent ni d’extravagance. Mais il n’obtient pas les ressources financières pour satisfaire le souhait du duc de Parme, qui lui a commandé une façade somptueuse. En 1611, le chantier est arrêté, et la construction reste dans l’état inachevé que l’on observe encore aujourd›hui. Les aléas subis par la Pilotta ne sont pas seulement financiers. Napoléon, qui a annexé le duché en 1801, fait abattre l’église de Saint-Pierre-martyr qui se trouvait à l’intérieur de l’édifice. Et le violent bombardement allié du 13 mai 1944 est quant à lui responsable de la disparition d’une grande partie des ailes ouest et sud.

30 000 m2 du palais ont été réaménagés

Son histoire tourmentée explique l’aspect à la fois sévère et grandiose qui se dégage de la Pilotta. Si le palais, de l’extérieur, peut donner l’impression d’un rugueux coffre-fort, il est l’écrin des somptueuses collections conservées par trois institutions culturelles : la Galerie nationale des beaux-arts, le Musée archéologique et la bibliothèque Palatine, qui compte un million d’ouvrages. On y trouve également le théâtre Farnèse, édifié en 1618. Dans les années 1960, s’ajoute le Musée Bodoni, où sont exposées les collections du célèbre typographe et éditeur du XVIIIe siècle dont l’atelier se trouvait au sein de la Pilotta. Le visiteur accède à ces trésors en gravissant l’escalier monumental en ciseaux, qui a retrouvé son lustre à l’issue d’un vaste chantier de restauration. Près de 30 000 m2 du palais ont en effet été réaménagés, une quinzaine de salles inaugurées et la superficie d’exposition a été augmentée de 30 % pour mieux présenter les riches collections. La Galerie nationale des beaux-arts conserve des œuvres du peintre et dessinateur baroque Le Guerchin, de Léonard de Vinci, du Tintoret ou encore de Fra Angelico… Et cela malgré quelques mésaventures dynastiques.En 1734, le duc Charles Ier, futur roi d’Espagne, transfère une grande partie de la collection dans les palais Farnèse de Rome et de Caprarola, mais surtout à Naples. Conscient de l’importance de l’art pour son prestige, son frère, qui devient duc de Parme sous le titre de Philippe Ier (1720-1765) interdit l’aliénation de la Madonna di San Girolamo (1528) du Corrège, joyaux de collections qu’il s’attache à mettre en valeur. Celles-ci s’enrichissent, aussi, des vestiges archéologiques découverts dans ses domaines. Victimes des spoliations napoléoniennes, elles sont reconstituées à la chute de l’Empire, et ouvertes au public grâce à Marie-Louise d’Autriche : l’ex-impératrice française, devenue duchesse de Parme en 1816, est ainsi à l’origine de l’un des plus anciens musées d’Italie.

Le théâtre de Ranuce Ier

C’est le premier théâtre moderne ­d’Europe, précurseur de ceux qui furent construits dans toute Italie. On doit son édification à Ranuce 1er, duc de Parme et de Plaisance, qui souhaitait célébrer en 1618 l’arrivée du grand-duc de Toscane, Cosme II de Médicis. Il confie alors à l’architecte Giovan Battista Aleotti (1546-1636) le soin de transformer la salle d’armes de son palais en salle de spectacle. Mais la complexité ainsi que le coût élevé des représentations feront que le théâtre ne sera utilisé qu’à moins de dix occasions. La dernière pour célébrer, en 1732, l’arrivée de Charles 1er dans son duché de Parme. Il n’en demeure pas moins un véritable joyau architectural, inspiré du Teatro Olimpico de Vicence, construit au XVIe siècle par Andrea Palladio. La cavea en U est constituée de quatorze gradins qui pouvaient accueillir près de 3 000 spectateurs. Malgré la richesse de son décor, le théâtre est laissé à l’abandon puis éventré par une bombe alliée en 1944. Il sera reconstruit de 1956 à 1960, selon les dessins originels, et en conservant les vestiges qui pouvaient être sauvés.


Une déesse mère de 7 000 ans

C’est l’une des pièces emblématiques du musée archéologique fondé en 1760 par le duc de Parme, Philippe Ier, pour conserver les vestiges retrouvés à Veleia (village romain dans la province de Piacenza). Pendant l’occupation française au début du XIXe siècle, le musée fut dépouillé de ses pièces les plus prestigieuses, qui lui furent restituées après le congrès de Vienne (1815) à la chute de Napoléon Ier.


le portrait d’érasme par HOLBEIN

Voici l’une des représentations les plus célèbres du grand philosophe, humaniste et théologien néerlandais, figure majeure la Renaissance. Ses traits nous sont connus aussi grâce aux œuvres d’Albrecht Dürer et de Quentin Metsys, mais c’est la peinture d’Hans Holbein le Jeune qui parut à Érasme être la plus conforme à ses idéaux. À partir de 1523, le philosophe désigne donc Holbein comme son portraitiste officiel. Les deux hommes construisent une étroite relation d’amitié et d’entente intellectuelle. On ignore comment cette œuvre est arrivée jusqu’en Italie mais elle entra, en 1834, dans les collections de la Galerie nationale de Parme dont elle est l’une des fiertés.


spectaculaire vierge à l’enfant

Ce retable de la Madone de saint Jérôme a été commandé, en 1523, par Briseide Colla au peintre Antonio Allegri, dit Le Corrège, pour la chapelle familiale de l’Église Saint-Antoine à Parme. L’œuvre est particulière par sa composition, qui diffère des représentations habituelles de la Vierge à l’enfant. Ici, il n’y a pas de différence hiérarchique entre les personnages de la scène : la mère de Dieu semble n’être qu’une figure parmi les autres.


Noble coiffe de Lombardie

L’Esclave turque nous fixe avec un sourire narquois. Comme si elle savait que le titre dont est affublé ce tableau provient d’une interprétation erronée de sa coiffe. Il ne s’agit en effet pas d’un turban, mais d’un balzo (« rebond »), typique des femmes nobles de la Renaissance, notamment en Lombardie. Ce portrait a été conservé dans les collections des Offices de Florence jusqu’au début du XXe siècle, avant d’arriver dans celles de la Galerie nationale de Parme.


La grâce d’une jeune fille

La Scapigliata – L’Échevelée, en italien – est une des œuvres emblématiques de Léonard de Vinci. Ce tableau de petites dimensions dégage une très grande grâce. Celle d’une jeune fille anonyme dont le visage achevé contraste avec les épaules et la chevelure à peine esquissées. Le manque de documents la concernant l’entoure de mystère. Quel est son commanditaire ? Est-ce une étude préparatoire ou un exercice de style du génie de la Renaissance ? Autant de questions qui suscitent le débat parmi les spécialistes.

À visiter
Palazzo della Pilotta,
piazza della Pilotta 3, Parme (Italie).Le complexe monumental comprend le Théâtre Farnèse, la Galerie nationale, la bibliothèque Palatine, le Musée archéologique et le Musée Bodoni.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°773 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : La pilotta, citadelle des Farnèse

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