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Ismaël Joffroy Chandoutis

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 21 novembre 2018 - 606 mots

À peine sorti du Fresnoy, Ismaël Joffroy Chandoutis, trente ans tout juste, est déjà bien capé : sélectionné en 2017 dans de nombreux festivals pour son court-métrage Ondes noires, il s’est vu décerner en septembre dernier le prix Révélation Art numérique – Art vidéo de l’ADAGP pour Swatted.

De l’aveu du jury, la récompense venait saluer une « œuvre de cinéma, sans caméra, qui casse tous les repères, les repères du genre, les repères du spectateur voyeur, les repères esthétiques et ceux de la 3D ». Dans ce court-métrage documentaire, Ismaël Joffroy Chandoutis décrit l’un des plus étranges rejetons du folklore Internet : le swatting.

Mauvais canular


Apparu aux États-Unis dans la communauté du jeu vidéo, c’est un canular numérique, une mauvaise blague de troll. La partie se joue sur Twitch, une plateforme de streaming où les joueurs se filment en train de jouer. Les règles sont simples : choisir une cible, collecter ses données personnelles, appeler la police pour provoquer une intervention à son domicile ; ensuite, jouir en direct de son arrestation, la commenter et la diffuser. Ismaël Joffroy Chandoutis en a été témoin par hasard en 2015 : « C’était une scène surréaliste, décrit-il. La personne joue à un jeu de swat et le swat débarque chez elle ! C’était comme si les policiers sortaient de l’écran. Ce paradoxe m’a questionné sur notre aliénation au réseau. »

Le sujet s’avère idéal comme projet de deuxième année au Fresnoy, dont l’objet est précisément d’articuler arts et technologies. Il permet aussi au jeune homme d’obéir à une consigne stricte d’Alain Fleischer : réaliser un film sans caméra. Œuvre de cinéma étendu, Swatted est un remix mêlant des images vectorielles issues du jeu Grand Theft Auto V, des vidéos de swatting et des confessions de victimes postées sur YouTube. Pour agencer sa collecte, Ismaël Joffroy Chandoutis dispose d’un atout de taille : entre 2010 et 2013, il s’est formé au montage à l’Insas à Bruxelles. À Sint-Lukas, où il intègre ensuite la section art et audiovisuel, il a aussi appris à aborder la réalisation autrement. « On y pense le cinéma non pas en termes de conflit narratif, mais de paradoxe, explique-t-il. C’est une nuance extrêmement importante pour moi, parce que la question du paradoxe comme enjeu se parcourt autant dans le cinéma narratif que non narratif. »

De fait, c’est bien une série de para­doxes qu’affronte l’artiste dans ses films. Dans Noir Plaisir (2016), il personnifiait le noir (dans toutes ses acceptions) et le confrontait au matériau de toute œuvre cinématographique : la lumière. Depuis, il renouvelle l’approche documentaire à l’aune des possibles ouverts par les technologies. « Ma démarche part d’un geste documentaire, explique-t-il. Mais je réinterprète la matière brute du réel, pour qu’il s’exprime à la frontière de la fiction, pour aller au plus juste. »

Cette ambition était déjà sensible dans Ondes noires, documentaire dédié à un autre symptôme de l’ère numérique : l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques. Pour mieux rendre le phénomène, Ismaël Joffroy Chandoutis y croisait les témoignages fictionnalisés de trois électrosensibles, et mêlait à ses prises de vue des images altérées et des sons saturés de signaux, de grésillements. Une manière, assure-t-il, de « faire saigner les images ». Aujourd’hui, l’artiste travaille à l’écriture d’un nouveau film autour du hacking. « C’est toujours une histoire de technologies, note-t-il, mais j’aimerais cette fois-ci que ce soit une fiction. »

 

 

1988
Naissance en France
2018
Remporte en septembre le prix Révélation Art numérique – Art vidéo 2018 décerné par l’ADAGP pour son film « Swatted » , travail de fin d’année de l’école du Fresnoy présenté dans le cadre de l’exposition « Panorama 20 » , jusqu’au 30 décembre. Vit et travaille entre Paris et Lille.
« Panorama 20 »,
jusqu’au 30 décembre 2018. Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains, 22, rue du Fresnoy, Tourcoing (59). Du mercredi au dimanche de 14 h à 19 h. Tarifs : 4 et 3 €. Directeur artistique : José-Manuel Gonçalvès. www.lefresnoy.net

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°718 du 1 décembre 2018, avec le titre suivant : Ismaël Joffroy Chandoutis

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