Commémoration - Musée - Vol

Il y a 50 ans, un vol spectaculaire au musée de Bagnols-sur-Cèze

Par Alexandre Clappe · lejournaldesarts.fr

Le 12 novembre 2022 - 949 mots

BAGNOLS-SUR-CÈZE

Le musée gardois souhaite « commémorer » le vol majeur qu’il a subi en 1972, espérant toujours retrouver les œuvres disparues. 

L'Hôtel de ville de Bagnols-sur-Cèze abrite le Musée Albert-André. © Vi Cult, 2008, CC BY-SA 3.0
L'Hôtel de ville de Bagnols-sur-Cèze abrite le Musée Albert-André.
Photo Vi Cult, 2008

Il y a cinquante ans, le 12 novembre 1972, le Musée de Bagnols-sur-Cèze (Gard) était victime d’un vol retentissant. Le nombre d’œuvres volées - 15 tableaux - et l’importance des artistes concernés ont classé ce fait divers parmi les plus importantes affaires de ce genre de l’après-guerre. 

Le musée avait été créé grâce au peintre Albert André, devenu son conservateur en 1917. Ami des Nabis, exécuteur testamentaire d’Auguste Renoir, Albert André va enrichir les collections avec les dons de ses amis artistes, galeristes ou critiques d’art, et faire du musée gardois le premier musée d'art contemporain de province en 1921. 

Celui-ci abrite par la suite des œuvres majeures dont 15 seront donc volées dans la nuit du 12 au 13 novembre 1972 : deux Renoir, Roses dans un vase (1905) et Portrait de Madame André ; un Claude Monet Reflets sur l’eau (1917) ; Vue de Saint-Tropez de Matisse ; une lithographie de Baigneuses de Cézanne ; deux Raoul Dufy, Orchestre avec un nu et Composition ; La Sortie du port de Boulogne de Berthe Morisot ; deux Pierre Bonnard, Le petit café 1900 et Le jardin à Vernonnet ; Champs de Camille Pissarro ; La chapelle à Paris de Maximilien Luce ; Le port de Marseille d’Albert Marquet ; Le port d’Honfleur d’Edouard Vuillard et Les pâturages d’Eugène Boudin.

Des tableaux difficilement négociables sur le marché parallèle car trop connus et trop côtés. La valeur estimée est à l’époque de cinq millions de francs, à peu près la même valeur en euros d’aujourd’hui. Mais en 2022 ces toiles vaudraient au moins dix fois plus.

Le vol est découvert à 14h par le gardien du musée M. Robert (72 ans) qui constate à sa prise de service que des malfaiteurs se sont introduits nuitamment dans le musée. Les cadres et les châssis sont trouvés posés au sol, la plupart des toiles ont donc été roulées pour être facilement transportées. Pas d’effraction de portes, les cambrioleurs sont passés par les toits. L’alarme ne fonctionnant que sur les serrures, personne n’a pu être averti de l’intrusion. Ironie de l’histoire ou preuve que les voleurs avaient de bonnes informations, un nouveau dispositif de sécurité venait d’être voté en conseil municipal et aurait dû être installé le mois suivant. 

Une échelle de corde descendait d’un trou percé dans les combles, après que les voleurs se sont introduits dans le bâtiment par une fenêtre. Ils sont ensuite partis comme ils étaient venus, d’abord par le toit de la mairie puis celui de l’école, avant de prendre un véhicule stationné dans une cour intérieure des bâtiments.

La police s’interroge : est-ce la commande d’un riche collectionneur ? Plusieurs pistes sont envisagées, les voleurs ont probablement bénéficié d’une complicité locale puisqu’ils semblaient informés à la fois des richesses de la collection, de son accès facile et des prochains travaux qui auraient compliqué leur forfait. 

L’affaire trouve un écho national. On découvre alors qu’un petit musée de province possédait des chefs-d’œuvre, tout en n’ayant pas les moyens de les conserver normalement : les tableaux ne sont pas assurés, le système de sécurité est peu performant, un unique concierge garde la mairie, et le gardien doit suivre les visiteurs de salle en salle, se trouvant en difficulté quand il y a des groupes. 

La gestion du musée par les élus est vite montrée du doigt à la fois pour les questions d’assurances et le manque de sécurité. Outre la police, des responsables du Musée du Louvre questionnent les élus qui expliqueront qu’un système de protection adapté coûtait trop cher pour la seule ville de Bagnols. 

Les élus finissent même par se défausser sur la presse locale en dénonçant la trop grande médiatisation du musée, responsable selon eux d’avoir suscité l’intérêt des voleurs. Néanmoins, la conclusion, unanime, sera qu’il y a eu négligence de la part de la municipalité et qu’il faut aussi que l’État puisse aider la collectivité sur ce genre de dossier. 

L’enquête n’aboutira pas. Le cauchemar recommencera même une dizaine d’années plus tard lorsque le 13 mars 1981 un malfaiteur, en plein jour cette fois, décroche un nouveau Renoir intitulé Jeunes femmes à la campagne (1916), et part sans être inquiété en se glissant dans la foule du marché devant le musée. 

Peu de choses ont finalement évolué depuis cinquante ans, le musée n’étant toujours pas aux normes et fonctionnant mal faute de personnel. Son avenir reste incertain et les élus locaux toujours aussi circonspects. Le projet évoqué de déménager les collections sur un nouveau site a fini par être abandonné et d’après Elian Cellier, président de l’Association des amis d’Albert André (6) créée en 2011, qui se bat pour faire avancer la cause du musée, un récent scénario de la collectivité locale envisageait tout bonnement sa fermeture définitive. 

C’est pourquoi l’association espère que la « commémoration » des 50 ans du vol pourrait faire prendre conscience aux possesseurs (de bonne foi ?) des tableaux qu’ils détiennent des tableaux acquis de façon frauduleuse. Une autre manière également d’interpeller les pouvoirs publics sur le devenir d’une telle collection.
 

Liste des œuvres volées au Musée Albert-André en 1972 et 1981

Vol du 12 novembre 1972 :
Pierre Bonnard, Le petit café 1900
Pierre Bonnard, Le jardin à Vernonnet
Eugène Boudin, Les pâturages
Paul Cézanne, lithographie de Baigneuses
Raoul Dufy, Orchestre avec un nu
Raoul Dufy, Composition
Maximilien Luce, La chapelle à Paris
Albert Marquet, Le port de Marseille 
Henri Matisse, Vue de Saint-Tropez
Claude Monet, Reflets sur l’eau (1917)
Berthe Morisot, La Sortie du port de Boulogne 
Camille Pissarro, Champs
Auguste Renoir, Roses dans un vase (1905) 
Auguste Renoir, Portrait de Madame André 
Edouard Vuillard, Le port d’Honfleur  

Vol du 13 mars 1981
Auguste Renoir, Jeunes femmes à la campagne (1916)

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