Crise financière à la Royal Academy

La désaffection des mécènes affecte les bilans depuis 1992

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 1 février 1996 - 1109 mots

Treize des vingt-trois expositions organisées entre 1991 et 1994 par la Royal Academy de Londres ont été déficitaires. Voici deux mois, la rétrospective Leighton a même failli être annulée. Mais grâce au soutien in extremis de Christie’s et de plusieurs personnes restées anonymes, l’exposition ouvrira ses portes comme prévu le 15 février. La précédente exposition, \"Africa\", avait connu les mêmes inquiétudes, avant de remporter un vif succès et d’attirer environ 250 000 visiteurs. Malgré tout, l’enthousiasme des mécènes fait défaut, et d’autres sources de financement s’imposent.

LONDRES (de notre correspondant )- Si les résultats de l’activité des expositions de la Royal Academy font apparaître, pour 1991/92, un léger bénéfice de 37 904 livres, le déficit s’élève à 147 189 livres en 1992/93 et atteint 929 938 livres en 1993/94. Les comptes pour 1994/95 ne seront pas apurés avant le printemps, mais le déficit devrait atteindre 200 000 livres. Toutefois, ces chiffres ne prennent pas en compte le loyer versé à l’institution par chaque exposition. Loin d’être négligeable, il s’est élevé, par exemple, à un total de 785 552 livres en 1993/94.

Ainsi, lorsque le revenu de ces locations est pris en compte, le bilan global des expositions est beaucoup plus positif que ne le suggère un premier examen. Le bilan final de 1991/92 fait apparaître un bénéfice de 962 708 livres, et celui de 1992/93 un bénéfice de 608 585 livres.
De même, le déficit de 1993/94 n’est plus que de 144 386 livres. Pour ajouter à la complexité de l’analyse de ces résultats, les fonds considérables émanant des Amis et Sociétaires de la Royal Academy, ainsi que les revenus de la boutique et du restaurant, ne sont pas pris en compte. Enfin, le programme d’expositions n’est qu’une des activités de la Royal Academy, qui dirige aussi une école d’art et regroupe en association les principaux artistes du pays.

Huit expositions bénéficiaires
En tête du palmarès, la traditionnelle "Summer exhibition", au cours de laquelle les tableaux exposés sont mis en vente. La Royal Academy, qui prélève une taxe de 30 % sur les ventes – un pourcentage inférieur à celui des galeries –, a réalisé un bénéfice moyen de 200 000 livres au cours de ces trois dernières années.

Vient ensuite "Sisley" (1991-92), avec un bénéfice de 192 562 livres pour 204 773 visiteurs. L’exposition a bénéficié d’un mécénat Elf et a été présentée au Musée d’Orsay et à la Walters Art Gallery de Baltimore, ce qui a permis le partage de certains frais généraux.

"La grande époque des aquarelles anglaises" (1992-93) a également remporté un vif succès, dégageant un bénéfice de 106 971 livres pour 208 887 visiteurs. L’exposition a bénéficié du mécénat Martini & Rossi. Trois autres expositions ont réalisé des bénéfices moins importants : "Vérité et fantaisie chez Goya", (1991-92, 81 271 livres), "Dessins du Musée J. Paul Getty" (1993-94, 54 886 livres) et "Hokusaï" (1991-92, 33 429 livres).

Deux expositions équilibrées
"The Pop Art Show" (1991-92), quoique très coûteuse à monter, a reçu le plus important soutien jamais offert pour une exposition, soit 400 000 livres garanties par Mercury et 100 000 livres par The Independent. L’exposition a finalement attiré 263 740 visiteurs – le meilleur résultat depuis le triomphe de Monet en 1990 –, et les mécènes n’ont finalement dû verser que les deux tiers des sommes garanties. "Pissarro : l’impressionniste et la ville" (1992-93) a également été équilibrée, grâce à son succès et au mécénat de la banque Indosuez.

Treize expositions déficitaires
"L’art américain au XXe siècle" (1993-94) a enregistré les plus grosses pertes (643 248 livres) de ces trois dernières années, surtout en raison de son coût élevé (plus de 1,9 million de livres). Les recettes ont été équivalentes à celles de "Pop Art", mais l’absence de deux grands mécènes américains, aux côtés de Merrill Lynch, a fait plonger l’opération dans le rouge.

"L’art de l’Ancien Monde" (1993-94), une sélection de pièces de la collection George Ortiz, n’a pas réussi à attirer de mécènes et s’est finalement soldée par un déficit de 372 352 livres. "Sagesse et pitié : l’art sacré du Tibet" (1992-93) a empêché toute entreprise travaillant de près ou de loin avec la Chine de soutenir l’exposition, et le déficit s’est élevé à 191 507 livres.

"Calder" (1991-92) a enregistré un déficit de 153 014 livres. La sculpture a tendance à être moins populaire, et elle entraîne des frais élevés. "Les dessins inconnus de Modigliani" (1993-94), de la collection Paul Alexandre, ont essuyé une perte de 144 255 livres, essentiellement en raison d’un mécénat modeste, seul Glaxo ayant apporté un maigre soutien. "Georges Rouault : les premières années" (1992-93) n’a pas attiré autant de visiteurs que prévu, et le déficit a été de 130 203 livres, malgré le mécénat de BMW.

Sept expositions ont enregistré un dé­ficit inférieur à 100 000 livres : "Francesco Clemente" (1991-92), "Tom Phillips" (1992-93), "Mantegna" (1991-92), "Michael Rothenstein"(1991-92), "Peintures de Sickert" (1992-93), "Sandra Blow" (1993-94), et "De l’Impression­nisme au Sym­bolisme : l’Avant-garde belge" (1993-94).

Création d’un poste de directeur du Développement
Néanmoins, les expositions jouissent d’une haute considération auprès du public et sont la "vitrine" de l’institution. Elles attirent environ un million de visiteurs par an, soit davantage que les expositions temporaires de la National Gallery ou de la Tate Gallery.

Pourtant, à la différence de toutes les autres grandes institutions du même type, la Royal Academy ne reçoit aucune subvention publique. En cas de déficit, elle est forcée d’y remédier sur ses fonds propres : ses investissements se montent à 9 millions de livres et dégagent un intérêt d’environ 5 % par an.

Le secrétaire de l’institution londonienne, Piers Rodgers, confirme que le problème majeur de ces dernières années aura été celui du mécénat, ou plutôt de son absence : "Ce type de décision est généralement pris deux ans avant une exposition. Le résultat exécrable pour 1993/94 reflète la situation financière et économique du début des années quatre-vingt -dix, au moment où la récession était à son apogée". Avec moins d’argent disponible, les grandes sociétés ont paru  se détourner des expositions de haute volée pour se consacrer à des projets plus modestes.

Aujour­d’hui, le mécénat se porte mieux mais se maintient toujours à un niveau trop bas : 1,1 million de livres en 1994/95, au lieu des 1,8 million escomptés. La direction a donc admis la nécessité de diversifier ses sources de financement, essentiellement auprès des fondations et des riches particuliers. Signe de cette nouvelle approche : la création d’un poste de directeur du Développement. Choisi en raison de son succès à l’English National Opera, où il a réussi à tripler le montant des donations venant des particuliers, John Nickson prendra ses fonctions au mois de mars.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°22 du 1 février 1996, avec le titre suivant : Crise financière à la Royal Academy

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