"Bienvenue dans l’Au-delà"

Alain Zivie révèle un nouveau pan de l’histoire égyptienne

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 21 février 2003 - 887 mots

Le 18 janvier dernier, la mission archéologique française dirigée par Alain Zivie, à Saqqara, au sud du Caire, annonçait la mise au jour de la tombe du “scribe du trésor”?, un monument de plusieurs salles, richement décoré de scènes peintes et gravées. Cette trouvaille apporte de nouveaux éléments sur une période fondamentale de l’histoire égyptienne : le règne d’Akhenaton (1352-1338 avant J.-C.) et de celui qui fut probablement son fils, Toutankhamon (1336-1327 avant J.-C.).

SAQQARA - “Bienvenue dans l’Au-delà”. L’inscription est gravée sur les murs de la tombe du “scribe du trésor”, récemment mise au jour à Saqqara, au sud du Caire, par la mission archéologique française du Bubasteion (MAFB). “Parmi toutes les découvertes annoncées en Égypte ces dernières années, il est difficile de faire la part des choses. La sépulture qui vient d’être trouvée présente un profond intérêt, et ce à des niveaux aussi bien historique qu’archéologique et artistique. Elle va changer notre connaissance de l’Égypte ancienne”, nous a expliqué Alain Zivie (CNRS), à la tête de la MAFB.
Saqqara, site mondialement connu pour sa pyramide à degrés, le tombeau du roi Djoser (2700 avant J.-C.), a vu son histoire longtemps réduite à celle de l’Ancien Empire (2700-2200 avant J.-C.). Autre élément qui contribua à passer sous silence tout un pan de son histoire : quantité de chats momifiés furent déposés, jusque dans les derniers siècles avant notre ère, dans des tombeaux dont la fonction initiale fut ainsi masquée. “Aujourd’hui, on se rend enfin compte de l’importance de Memphis et de son cimetière [Saqqara] pour notre connaissance du Nouvel Empire [1552-1069 avant J.-C.]”, se félicite Alain Zivie.

Configuration de la tombe du “scribe du trésor”
Dans les années 1980, une série de tombes rupestres datant de cette période furent mises au jour sur la falaise du Bubasteion, notamment celle du vizir Aper-el qui a, depuis, bouleversé nombre de données historiques.
Dernière en date, la tombe du “scribe du trésor des temples d’Aton” a été repérée en novembre 2001 et fouillée un an après par les équipes françaises, sous l’égide du Conseil suprême des antiquités égyptiennes. Composé de plusieurs salles, le tombeau a été creusé à flanc de coteau pour ce grand commis du royaume, sorte de trésorier-payeur général, connu sous deux diminutifs : “Raïay” ou “Hatiay”.
Relativement bien conservée, la première chambre est ornée d’un décor peint et gravé, typique du style amarnien – la période amarnienne couvre les règnes d’Akhenaton, de Smenkhkarê, son frère, et d’une partie de celui de Toutankhamon, de 1348 à 1332 avant J.-C. Deux types de scènes se succèdent sur les murs : de petits personnages s’affairant à diverses activités et de grandes figures aux visages allongés, traités avec un soin particulier et représentant probablement Raïay et son épouse, Maïa.

“Bouleverser les idées reçues”
La seconde chambre donne accès à un niveau inférieur, la tombe à proprement parler. Dépourvue de sarcophages ou d’objets cultuels, celle-ci n’aurait jamais été utilisée. Selon les chercheurs, son destinataire, Raïay, aurait pu changer de projet avec les événements qui ont suivi la mort d’Akhenaton. Né Aménophis IV, pharaon de la XVIIIe dynastie (autour de 1350 avant J.-C.), Akhenaton avait, dans une période particulièrement trouble, imposé avec son épouse Néfertiti le culte du dieu unique Aton, culte progressivement oublié après sa mort (lire encadré). Sur les linteaux de la première chambre, les archéologues ont d’ailleurs trouvé des cartouches d’Aton, mais aussi d’Akhenaton et de Néfertiti, délibérément gommés, probablement après l’abandon du culte.
La tombe de Raïay pourrait apporter de nouveaux éléments sur ce moment unique de l’histoire égyptienne. “Ce qui m’intéresse, c’est de faire un vrai travail d’historien, de bouleverser les idées reçues”, confie Alain Zivie.
Au regard de ces nouveaux éléments et des fouilles récentes effectuées à Saqqara, l’égyptologue s’est lancé dans une série d’hypothèses sur l’enfance de Toutankhamon.
En 1996, à une vingtaine de mètres de la tombe du scribe, avait été retrouvée une sépulture ornée elle aussi de magnifiques reliefs. Celle-ci s’est révélée être destinée à la nourrice de Toutankhamon, une certaine Maïa. Or la femme du “scribe du trésor” se nomme aussi Maïa. S’agit-il de la même personne ? Dans ce cas, le fils de Raïay et de Maïa serait-il le frère de lait de Toutankhamon ? Pourquoi les deux sépultures, celles du scribe du trésor et de la nourrice, n’ont-elles pas été utilisées ? Où le couple a-t-il finalement été enterré ? Autant de questions auxquelles les chercheurs vont tenter de répondre dans les prochains mois.

Akhenaton, roi hérétique

Le règne d’Aménophis IV, plus connu sous le nom d’“Akhenaton”?, est marqué par une révolution religieuse qui lui valut le nom de “roi hérétique”?. Il décida de remplacer la religion d’Amon, dieu traditionnel de l’État et de la monarchie, par celle d’Aton, le disque solaire, auteur de toute vie sur terre, personnage central d’un culte monothéiste. Malgré l’opposition du puissant clergé de Thèbes, Aménophis IV abandonna la ville pour transporter sa capitale à Tell el-Armana et changea son nom en celui d’“Akhenaton”?, littéralement “splendeur d’Aton”?. Toute trace du panthéon polythéiste, en tête duquel figurait Amon, devait être effacée ou détruite. Cette politique officielle d’intolérance et de persécution religieuse systématique, en rupture totale avec la tradition, continue de fasciner chercheurs et historiens. Déjà déclinante à la fin de son règne, la religion d’Aton fut abandonnée sous Toutankhamon, successeur d’Akhenaton, accélérant la fin de la XVIIIe dynastie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : "Bienvenue dans l’Au-delà"

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