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Le singe médiéval : histoire d’un animal ambigu. Savoirs, symboles et représentations

Le Journal des Arts

Le 31 décembre 2014 - 755 mots

Le singe ne tient pas un second rôle dans le bestiaire médiéval : animal de compagnie des puissants, amuseurs des humbles et figure iconographique récurrente, il fait partie de l’univers visuel des gens du Moyen Âge.

L’objet de cette thèse est de présenter un corpus littéraire et iconographique afin de dresser un portrait tout en nuances de cet animal et de dénoncer certains préjugés à son égard.

Un animal diabolique ?
Comme le rappelle Michel Pastoureau, « pour bien fonctionner, tout système symbolique doit se ménager des soupapes et savoir se transgresser lui-même (un animal n’est jamais entièrement positif ou négatif ; il a toujours ses bons et ses mauvais aspects, mis en valeur par le contexte ou par l’emploi qui en est fait) (1) ». On ne peut trouver un animal qui illustre mieux ce principe que le singe médiéval. En effet, sa ressemblance avec l’homme est source de fascination, mais aussi d’inquiétude. Jusqu’ici les historiens ont surtout souligné le mauvais visage de l’animal. Suivant les idées exposées par Horst Woldemar Janson dans Apes and Ape Lore in the Middle Ages and the Renaissance (Londres, 1952), ils soutiennent (trop) souvent l’idée selon laquelle le singe aurait été diabolisé de manière quasiment officielle par l’Église. Bien sûr, il est parfois présenté comme un animal laid et rusé dans les images et dans les textes. Dans certains contextes, il symbolise par exemple l’homme pécheur attaché aux plaisirs terrestres. Mais avant le XVe siècle, on ne trouve pas d’image où le singe est clairement présenté comme une bête diabolique, et ce n’est qu’à la fin du Moyen Âge que le motif simiesque est occasionnellement employé comme allégorie de l’avarice ou de la luxure, ou associé au thème de la faute originelle. La légende noire du singe est donc partiellement méritée. Mais le considérer uniquement comme une figure négative du bestiaire est une attitude trop réductrice.

La figure simiesque s’illustre par la diversité des thèmes abordés, et parmi ceux-ci, des thèmes positifs comme celui des cinq sens où le singe incarne le goût. On rencontre aussi l’animal placé dans une composition pour indiquer que la scène se déroule dans une contrée exotique. Et il faut encore évoquer les nombreuses occurrences où le singe est représenté pour lui-même, c’est-à-dire en tant qu’animal domestique dans une position qui reflète la réalité – par exemple enchaîné à un poids et accroché à une fenêtre – et qui ne prête à aucune interprétation symbolique.

Un succès iconographique

Le singe, déjà très présent dans l’iconographie antique, s’impose à nouveau comme motif dans la sculpture, l’orfèvrerie et les manuscrits enluminés à l’époque romane. Puis, à l’époque gothique, on assiste à une explosion de l’iconographie simiesque dans les marges des manuscrits. Les deux derniers siècles du Moyen Âge voient le singe partir à la conquête de nouveaux supports tels que la tapisserie, la sculpture sur bois et la gravure. Les artistes représentent le singe d’une manière qui varie peu : une tête portant deux petites oreilles rondes et un nez camus (2), un corps au pelage brun ou gris, des callosités fessières soulignées. La race la plus commune en Europe occidentale pendant cette période est celle du macaque berbère, qui ne possède pas de queue, ce qu’explique son absence dans les images. Si l’apparence du singe ne change guère, les attitudes que lui font adopter les artistes, elles, sont très nombreuses. Le succès du singe comme figure iconographique s’explique en partie par sa plasticité : contorsionniste né, il est le personnage idéal pour l’artiste qui peut lui faire adopter toutes sortes de positions amusantes. Ainsi, les marginalia regorgent de drôleries, parfois irrévérencieuses, dans lesquelles le singe peut jouer son rôle d’animal, ou être traité comme un grotesque, ou bien encore parodier des activités humaines en illustrant des thèmes aussi divers et variés que la danse, la musique, le jeu, la chasse, la pêche, le combat, la religion, l’éducation, la médecine, et l’astronomie, entre autres. Loin de n’être qu’une bête diabolique ou malfaisante, le singe médiéval étonne donc par la richesse de son iconographie. C’est par milliers que nous croisons les singes dans les chapiteaux, les enluminures, les tapisseries, les peintures et les gravures. Il semblait donc indispensable de souligner la polysémie symbolique de cet animal.

Amandine Gaudron
 
Notes

(1) M. Pastoureau, Le cochon : histoire d’un cousin mal aimé, Paris, p. 100.
(2) Le mot singe vient d’ailleurs du latin simius, ii (m.), dérivé de l’adjectif simus, a, um, camard, camus. La racine est grecque : l’adjectif σīμός signifie « qui a le nez camus, retroussé, plat ».

Pour rendre compte de l’actualité de la recherche universitaire, Le Journal des Arts ouvre ses colonnes aux jeunes chercheurs en publiant régulièrement des résumés de thèse de doctorat ou de mémoire de master (spécialité histoire de l’art et archéologie, arts plastiques, photographie, esthétique…).
Les étudiants intéressés feront parvenir au journal leur texte d’une longueur maximale de 4 500 caractères (à adresser à Jean-Christophe Castelain, rédacteur en chef : jchrisc@artclair.com). Nous publions cette quinzaine le texte d’Amandine Gaudron, qui a soutenu sa thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe sur « Le singe médiéval : histoire d’un animal ambigu. Savoirs, symboles et représentations » sous la direction de Michel Pastoureau.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°426 du 2 janvier 2015, avec le titre suivant : Le singe médiéval : histoire d’un animal ambigu. Savoirs, symboles et représentations

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