Art contemporain

Le livre préféré de… Loris Gréaud

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 21 novembre 2019 - 675 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... Loris Gréaud.

Fétiche -  Finis l’agitation tourbillonnante, le débit saccadé, le regard aux aguets. Onze ans après son effraction choc de la scène contemporaine avec l’occupation entière du Palais de Tokyo, Loris Gréaud, qui vient de fêter ses quarante ans, et dont l’œuvre puissante est régulièrement présentée à travers le monde, semble avoir changé de tempo. Mais pas d’obsession : le devenir de l’espèce humaine, à l’heure du conditionnement technologique accéléré, occupe toujours ses pensées ! Curieux hasard : cet automne, c’est en face de l’institution qui l’avait consacré qu’il frappe à nouveau un grand coup. À l’occasion de la fin des travaux et du redéploiement de ses collections, le Musée d’art moderne de Paris lui offre un espace à part, dont la scénographie, baignée dans une fumée blafarde, distille un climat aussi envoûtant qu’inquiétant : en contrebas d’une jetée figurent un arbre calciné avec des néons blancs accrochés le long de ses branches, une nappe d’eau dans laquelle reposent des lichens et des débris de moteur récupérés dans le désert contaminé où a été tourné Stalker, le chef-d’œuvre d’Andreï Tarkovski, et des sculptures lumineuses sonores qui amplifient la bande-son d’un film en cours de montage projeté sur un écran. Une vision prégnante de fin du monde où les corps cherchent leur place. À l’image du livre fétiche de l’artiste, Crash de James Graham Ballard qui, à sa sortie en 1973, en plein triomphe de la société de consommation et du mythe de la vitesse, a fait l’effet d’une douche froide : « Je l’ai lu pour la première fois à quinze ans et, depuis, je le relis régulièrement. L’impact de ce livre sur mon imaginaire reste vif. Cette histoire, qui mêle le goût des accidents automobiles déclenchés volontairement à la jouissance érotique, m’a profondément troublé. J’ai été sensible à l’amplitude de la vision de son auteur, à ses chaînes de pensée où, à partir d’un accident automobile, il en vient à la pulsion sexuelle, transposant ainsi, à l’époque contemporaine, le mythe d’Éros et Thanatos. » Loris Gréaud ajoute : « Je ne suis pas spécialement friand de science-fiction, mais il y a chez J.G. Ballard un glissement entre fiction et réalité qui me fascine. Peut-être parce que, comme moi, il habitait une banlieue banale ? Avec le recul, son récit évoque notre monde en pleine mutation. » Est-ce à dire que l’homme est en passe de perdre le contrôle ? Le sourire en coin, Gréaud souligne : « L’a-t-il jamais eu ? Quand on demandait à Freud à quoi pouvait bien servir la psychanalyse, il répondait qu’elle apprenait à mourir, et que notre but dans l’existence était de nous faire à cette idée ! » J.G. Ballard aurait-il cependant eu une fulgurante intuition sur le devenir de l’espèce humaine ? Réponse de l’artiste : « Il a interrogé le futur de l’homme et de son corps dans un monde dominé par la machine. Il disait vouloir “photographier la psychologie du futur”, la collision entre la technologie la plus avancée et les instincts les plus primitifs. Ce qu’il a développé comme de la fiction devient réalité : l’intelligence artificielle prendra sûrement le pas sur nos existences. Récemment, pour mon troisième film, je suis allé à Hong Kong au siège de la société Hanson Robotics afin de rencontrer le fameux robot Sophia, le plus sophistiqué à ce jour, et qui a l’apparence d’une jeune femme. J’ai pu avoir une vraie conversation avec elle car, en quelques secondes, elle avait pris connaissance de tout ce qui avait été écrit sur moi et sur mon travail ! Je l’ai interrogée sur ce qui m’a le plus frappé à la lecture de Crash : la non-dissociation entre l’espace mental et l’espace physique… » Un souvenir personnel refait soudain surface : « Aux Beaux-Arts, j’ai eu un professeur qui conseillait de laisser ses livres préférés ouverts sur une table pour mieux s’en imprégner. Ainsi Crash constitue-t-il ma zone d’influence ! » Pour finir, il avoue collectionner les éditions du livre avec leurs différentes couvertures. Fétichisme ou obsession ?

« Glorius Read », jusqu’au 9 février 2020. Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris-16e. « Ladi Rogeurs : Sir Loudrage, Glorius Read »,
suite aux expositions éponymes dans les espaces de la Galerie Max Hetzler à Paris et Berlin, et au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Avec un essai de Fabrice Hergott (Holzwarth Publications, Max Hetzler, MAMVP).

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°729 du 1 décembre 2019, avec le titre suivant : Le livre préféré de… Loris Gréaud

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