Art contemporain

La plume… d’Ernest Pignon-Ernest

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 30 octobre 2018 - 624 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci la plume d'Ernest Pignon-Ernest

Fétiche - « J’utilise régulièrement la plume Sergent-Major pour écrire ou dessiner. J’ai essayé d’autres marques, mais celle-ci reste de loin ma préférée : elle est à la fois rigide et souple. Peut-être, aussi, y suis-je sentimentalement attaché car, comme tous les écoliers de mon époque, j’ai appris à écrire avec cette plume. Je me souviens encore de mon bureau en bois qui comportait un trou pour y placer un encrier en porcelaine blanche rempli d’encre violette. » Tel un clin d’œil à ses années d’apprentissage, l’écriture expressive d’Ernest Pignon-Ernest, tracée à la plume, affiche des pleins et des déliés, des arabesques élégantes et des lignes de fuite dynamiques. Elle prolonge son œuvre qui met en scène, dans la rue, et de manière éphémère, de magnifiques dessins exécutés d’une main souple, dont les thèmes, le plus souvent des portraits d’hommes ou de femmes, sont inspirés par le contexte géographique, politique, culturel ou historique du lieu qui les accueille. La calligraphie très reconnaissable d’Ernest Pignon-Ernest, tracée donc à la plume et à l’encre noire, agit parfois comme une signature-logo. On la retrouve, par exemple, depuis vingt ans, sur les affiches des spectacles du cirque Zingaro comme signe d’une longue amitié entre les deux artistes, ou encore sur celles des manifestations du Printemps des poètes. Outre qu’elle s’avère un outil indispensable à son travail, cette fameuse plume Sergent-Major permet à son propriétaire de faire un pied de nez à la technologie ambiante envahissante : « Je m’amuse à contourner la dictature de l’écriture automatique des textos et autres SMS : quand j’ai un petit message à faire passer, je l’écris à la main avec ma plume, je le scanne ou le photographie et je l’envoie de mon iPhone à mon interlocuteur, plutôt surpris. Le texte devient alors plus chargé de sens. » Un acte de résistance qui renvoie l’artiste à celui des instituteurs de son enfance qui s’étaient insurgés contre l’arrivée du stylo-bille, arguant que « l’on ne peut pas apprendre à écrire avec ça ! » Et d’ajouter : « Le plus drôle est que Bic a fini par racheter le fabriquant français qu’il avait contribué à faire quasiment disparaître ! » Une forme de rébellion qui lui rappelle, également, la belle phrase du cinéaste Pasolini : « Je suis l’extraordinaire force du passé ! » Cependant, rares sont les fameux dessins urbains d’Ernest Pignon-Ernest à être réalisés à la plume Sergent-Major, hormis, une fois agrandie, une immense fresque de 12 m x 5 m pour le collège René Cassin à Tourrette-Levens, dans les Alpes-Maritimes, mêlant dessins et textes issus de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont Cassin fut un des rédacteurs. Mais, explique l’artiste : « Tous mes travaux commencent par des petits croquis faits à la plume et à l’encre de Chine. L’aspect incisif de l’exécution facilite ma recherche d’attitudes de mes personnages et leur inscription dans l’espace. Mon expérience de dessinateur en architecture, comme premier métier, m’a beaucoup appris concernant la manière dont le public aura à découvrir mes œuvres dans la rue. » Seul bémol pour l’antimilitariste qu’est Ernest Pignon-Ernest : la résonnance militaire du nom de sa plume fétiche ! Explication : « Tout comme La Gauloise, la Sergent-Major, introduite en France dans les écoles à la fin du XIXe siècle, fait écho aux différents conflits franco-allemands. » Mais les souvenirs intimes restent les plus forts : « Je n’étais pas un bon élève, mais j’étais doué en dessin. Je me souviens de la représentation d’un homme grimpant sur une montagne réalisée à la plume Sergent-Major, à la demande du prof de gymnastique. Il avait été montré en exemple dans toute l’école, ce qui m’a donné confiance en moi ! » C’est ce qui s’appelle un destin tout tracé.

Ernest Pignon-Ernest,
Face aux murs,
nouvelle édition augmentée, éditions Delpire, 272 p., 30 €.« André Velter et Ernest Pignon-Ernest. Habiter poétiquement le monde »,
jusqu’au 4 novembre 2018, Musée Mandet, Riom (63), www.riom-communaute.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : La plume… d’Ernest Pignon-Ernest

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