Essai / Contre-essai

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 22 novembre 2022 - 758 mots

Essai - Guillaume Durand est l’un des rares journalistes et animateurs français à défendre l’art et la culture à la télévision et à la radio, où il officie désormais. Le détenteur de la carte de presse numéro 45 713 le fait avec une ardeur que l’on ne peut pas soupçonner d’opportunisme, sans souci de genre ni de hiérarchie, ne cachant pas sa passion pour le rock et la peinture : Led Zeppelin, Pink Floyd, les Rolling Stones, Pierre Soulages, Jacques Monory, Andy Warhol, sans oublier Manet, « le plus grand des Français », comme le lui a un jour glissé Sollers. Guillaume Durand consacre aujourd’hui un livre au « bel Édouard », ce peintre des « passions troubles » qu’il aime « depuis l’enfance ». Le déclencheur de ce Déjeunons sur l’herbe [Bouquins essais, 290 p., 29,90 €] a été le cancer de la mâchoire dont l’auteur souffre encore, comme il l’a confié à l’antenne de France Inter en novembre. Passé tout près du « précipice », le journaliste a ressenti le besoin de partager son amour pour le peintre, mais pas seulement. Libre promenade dans une histoire de l’art moderne et contemporain, Déjeunons sur l’herbe est aussi une déclaration d’amour aux artistes (George Condo, Miquel Barceló, Claire Tabouret, en plus de ceux déjà cités), aux musées, aux galeristes – à Daniel Lelong, « adorable et pédagogue » –, à la musique, au cinéma et à ses parents marchands de tableaux, Nicole et Lucien Durand – « Mon père était un personnage de Manet : le goût de la cravate, un courage français qu’il est impossible de définir », écrit l’auteur. Guillaume Durand y distille ses souvenirs professionnels et intimes, qu’il ponctue de réflexions sur la « nullité de l’Éducation nationale », sur cette France qui préfère « les disparus » à ceux « qui respirent », sur les musées plus prompts à défendre les créateurs étrangers, comme sur la « méfiance » inexplicable des journaux envers la culture. Des réflexions à l’emporte-pièce souvent bien vues, mais jamais neuves. Des banalités, quoi. S’agissant d’un livre personnel, d’un « roman vrai avec des reproductions magnifiques », on ne lui en fera pas le reproche. « Je n’écris pas ce livre pour ceux qui savent. Ils n’ont pas besoin de moi », confesse d’ailleurs l’auteur, qui a cent fois raison : l’art ne devrait pas être un territoire réservé aux seuls sachants. Est-ce cela qui a convaincu le jury du Renaudot de lui décerner, en novembre, son prix de l’essai ? Ce n’est en tout cas pas la qualité de l’écriture, relâchée et familière. Ce prix est probablement une bonne nouvelle pour l’histoire de l’art, qui peut espérer ainsi toucher un public plus large que son lectorat traditionnel. C’est en revanche une triste nouvelle pour cette discipline qui propose, pourtant, des essais dignes de ce nom, dignes d’un Renaudot essai. Contre-essai - Stéphane Toussaint, lui non plus, n’est pas historien de l’art. Il est philosophe. Lui aussi vient de publier un livre sur un artiste de son panthéon : Sandro Botticelli. Un essai, un vrai, qui propose une nouvelle lecture d’un tableau du maître, Mars et Vénus (1475-1485), à la lumière des intellectuels humanistes de la Renaissance, comme Marsile Ficin, dont il est un des spécialistes. Lui aussi nous offre un texte libre et personnel, mais à la plume alerte et à l’humour flamboyant. L’auteur y dépeint un artiste facétieux et coquin, pour ne pas dire grivois, qui s’autorise à transpercer le derrière de son dieu Mars avec une épée d’estoc. « Allusion érotique dans l’illusion d’optique, Mars serait comme un “enfilé”, métaphoriquement pénétré par l’épée sur laquelle il sommeille en priant discrètement Vénus d’aller se faire voir ailleurs, écrit Toussaint. Do not disturb ! Supposition choquante ? Outrageuse hypothèse pour un Botticelli ? On conçoit qu’elle provoque un scepticisme gêné. » Voilà qui ne plaira pas, là non plus, à tous les savants. Tant pis !, puisque Le Songe de Botticelli [Hazan, 162 p., 25 €] fait avancer le débat et la connaissance, tout en procurant un plaisir jouissif de lecture. Après tout, n’est-ce pas là ce que l’on attend d’un essai ? « Botticelli sait peindre et raconter comme nul autre, possédant le génie de moduler l’intensité de son parfait spectacle comme nous calibrons l’image de nos écrans […]. La peinture de Botticelli, “une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées” ? Mon œil ! […] Rien n’est plat dans ce Botticelli où tout est dangereusement anfractueux. D’une anfractuosité moins onctueuse que celle de Léonard, ce génial brasseur cosmique, mais tellement mieux comprise par l’intelligence en alerte. » Stéphane Toussaint, lui, sait rendre l’érudition accessible et joyeuse. Il n’aura pas le Renaudot. Le Songe de Botticelli le mériterait, pourtant.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°760 du 1 décembre 2022, avec le titre suivant : Essai Contre-essai

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