Société

2020 fait date, mais en quoi ?

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 7 janvier 2021 - 575 mots

Le Covid-19 a marqué l’année ; ses conséquences humaines, économiques, sociales vont continuer de s’abattre jusqu’à ce que des vaccins permettent d’envisager une convalescence.

Mais en quoi la pandémie a-t-elle changé nos comportements, notre vision du monde ? Sans adhérer à l’optimisme annonçant l’émergence inéluctable d’un « monde d’après » forcément plus responsable, constatons que des évolutions sont en cours.

Pour notre découverte de l’art, de son passé, comme de ses pratiques aujourd’hui, la pandémie a amplifié notre recours au numérique afin de consulter les sites des musées, des centres d’art, des galeries. En quelques mois, leur technologie et leur éditorialisation ont rendu leur accès plus attirant. À tel point que l’amateur, même s’il se croit persuadé que la rencontre physique avec l’œuvre est irremplaçable, a pris désormais l’habitude de s’informer d’abord largement virtuellement pour sélectionner son programme de déplacements. La découverte se fait sur le Web, la confirmation viendra éventuellement sur place. Les services offerts par les « online viewing rooms » des foires [voir page 26] ont fait également de tels progrès l’année dernière qu’ils remettront en cause, quand cela le redeviendra possible, de prendre si souvent le train, l’avion et d’aggraver notre bilan carbone.

Le Covid-19 a renforcé la bonne santé des sociétés du numérique et celle des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), mais 2020 a peut-être aussi amorcé un tournant. Les critiques sur leur pouvoir monopolistique, leur nuisance, leur capacité à véhiculer des fake news, à attiser la violence se sont accrues. La Commission européenne vient de présenter deux règlements pour tenter de les réguler. Aux États-Unis, la Federal Trade Commission (FTC) rejointe par 48 États a déposé plainte contre Facebook pour qu’il se sépare de ses filiales, Instagram et WhatsApp. La FTC rappelle que la justice américaine a déjà démantelé des trusts, comme American Telephone & Telegraph. Des dizaines d’années de procédure avaient cependant été nécessaires.

Dans la panoplie du numérique, le podcast est un outil précieux et confinement ou couvre-feu nous incitent à son usage. Profitons alors de ceux que nous offre Arte en ce moment : « Quand l’histoire fait dates », une série documentaire passionnante où rigueur scientifique, pédagogie et émotion se mêlent comme rarement. Au fil de la vingtaine d’épisodes, Patrick Boucheron interroge des dates : des fameuses, des moins connues, des prétextes à la construction d’un récit. Chaque fois, le professeur au Collège de France décortique ces dates, les met dans un contexte mondial. L’histoire sert à éclairer le présent, alors écoutons le médiéviste nous parler de la peste noire (1347-1352), qui a décimé un tiers de la population européenne. Il nous commente des peintures de danse macabre où la faucheuse tue chacun, qu’il soit riche ou pauvre, puis un transi en putréfaction loin du gisant espérant la grâce. Pourtant, la peste est davantage déduite par des manques, des lacunes, que documentée. Tel le registre d’un notaire qui s’interrompt en 1348 pour ne reprendre qu’en 1350, par une autre main. L’historien s’interroge : comment la routine a-t-elle pu recommencer comme si rien ne s’était passé ? La plus terrible catastrophe subie au Moyen Âge n’aurait rien modifié dans les structures sociales, la manière de penser, d’agir, d’obéir ? Le continent terrifié ne doutait pas de lui-même et repartait sur les mêmes bases. En Asie centrale et en Chine en revanche, Boucheron repère des ruptures politiques. En Europe, la peste fait date par son empreinte dans l’imaginaire et dans l’art, comme étant devenue une référence à laquelle tous les cataclysmes seront comparés.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°558 du 8 janvier 2021, avec le titre suivant : 2020 fait date, mais en quoi ?

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