Minimal Morrison

L'ŒIL

Le 1 juillet 2000 - 1025 mots

Jasper Morrisson vient de signer le mobilier de la Tate Modern de Londres. De ce côté-ci de la Manche, il termine une collection de céramiques pour le Musée Magnelli de Vallauris.Des formes épurées au service d’un design très minimal.

Jasper Morrison s’énerve quand on parle de son minimalisme. Car pour lui le minimalisme est un style, et il a horreur du style. Sans doute est-il marqué par son origine prolétaire, par l’étouffement qu’il ressentait enfant sous ce fameux style cosy si anglais. Bref Morrison milite depuis ses débuts pour la simplification et l’épure. En ce moment il est partout. À Vallauris, par exemple, où le Musée Magnelli lui a commandé toute une série d’objets en céramique pour la table diffusée par les éditions Grégoire Gardette de Nice. Il est présent également à la nouvelle Tate Modern de Londres avec une collection de tables et de chaises intitulée « Tate ».
Comme prévu, la simplicité même : une chaise à l’assise en contreplaqué de hêtre d’une seule pièce sur un fin piétement en acier inox satiné. Même définition pour la table. Seule variante : le bois peut être du chêne naturel, ou teinté ébène, ou laqué en couleur, ou stratifié. Simple comme bonjour et édité chez Capellini, on aurait presque envie de dire naturellement, puisque leur collaboration ressemble à une vraie histoire d’amour. D’ailleurs tout a l’air naturel chez Morrison. Sa décontraction, sa rigueur, ses couleurs claires, ses goûts, sa curiosité, sa chasse au superflu, son goût pour l’observation visuelle. Pour la Glasgow Collection, cet organisme parapublic financé par le gouvernement d’Écosse en vue de développer le design dans les entreprises régionales, Morrison a conçu des textiles d’ameublement destinés à l’entreprise Bute Fabrics. Il a été aussi chargé par Federica Zanco, la merveilleuse femme architecte vénitienne de Rolf Fehlbaum, le PDG de Vitra, de conseiller, avec Bruce Mau, l’ami de Rem Koolhas, la mise en espace de l’exposition Barragàn. Morrison ne s’intéresse donc pas qu’aux chaises. Même s’il s’y intéresse beaucoup. « Pour être efficace, il faut du détachement », disait Diderot. Morrison est détaché à sa façon. Il prend toujours de la distance. Il regarde, observe, analyse, tente de comprendre, fait décanter, filtre, puis imagine alors seulement un concept. Ce n’est jamais la forme seule ou la fonction seule qui l’inspire. C’est une chose ou une autre dont la présence s’impose avec une certaine évidence ou avec le sentiment d’avoir toujours vécu. Des objets qui font partie de notre patrimoine visuel, qui émergent de notre mémoire collective car, en général, ils ont fait leur preuve, se sont déjà fait aimer. Morrison n’a pas de scrupule particulier à redessiner quelque chose qui appartient déjà à notre vocabulaire visuel, à nos archétypes familiers. Ainsi il a redessiné pour Vitra en 1999, une chaise très banale aux États-Unis, pourtant connue de tous inconsciemment, la GF 40/4 de David Rowland. Il a nettoyé et épuré encore plus cette forme existante pour arriver à un « pur schéma », un dessin sec, presque invisible, qui ne souhaite pas paraître ou faire de l’effet, ni attirer l’attention par son originalité. Une sorte de silence, de mutisme ou de neutralité. C’est ceux qui s’en servent qui lui donneront sa personnalité. Elle devient élégante à l’usage, avec l’habitude du temps, de la quotidienneté. Morrison est très sensible au quotidien. Redessiner signifie pour lui améliorer encore, non pas appauvrir, mais enrichir en densité. En rendant la présence de l’objet encore plus évidente. Sa dernière chaise, produite en 2000 pour Magis, est moulée d’un seul tenant en propypropylène par injection à gaz. Là, Morrison réinterprète et revisite l’idée même du design. Il y résume le mythe des avantages de l’industrie : production en série, en très grand nombre, à bas prix, avec gain de place (car cette chaise est bien sûr empilable)... bref la qualité à la portée de tous. Elle est tellement fine qu’on la dirait de peau tendue.

Une cuillère, un vase ou un sofa
Morrison est éclectique. Une cuillère l’intéresse autant qu’un vase ou qu’un sofa. Ce qui l’excite, c’est de décomposer et de décliner une forme. D’en faire des séries, des familles qui peuvent s’agrandir, rétrécir, et surtout devenir interactives avec les utilisateurs. C’est le choix qu’il a fait à Vallauris. Partant d’une forme simple, presque élémentaire et enfantine, la colonne, il la fait grossir ou maigrir, grandir ou rapetisser pour obtenir des chandeliers, des vases, des coupes, des compotiers. Ettore Sottsass, le maître contemporain de la céramique européenne a aussi souvent conjugué cette forme de colonne, de bobine, jusqu’à en faire des totems, mais en leur insufflant une spiritualité particulière. Si les séries de Morrison ne sont pas mystiques, elles ont néanmoins une âme. L’autre série de Vallauris est faite de trois grands plats qui ne se comportent pas comme des assiettes plates banales, mais plutôt comme des plateaux à assiettes intégrées. Les assiettes donnent l’illusion d’être très concaves, creusées au point de sembler être des « em-preintes » d’assiettes, ce qu’elles sont bien en réalité puisqu’elles ont été moulées. Elles deviennent ainsi multifonctionnelles et ludiques. On pense aux plateaux-repas dans les avions. L’ironie réside aussi dans le décalage qu’opère Morrison, car toutes ces assiettes, qu’elles soient rondes ou rectangulaires, sont décentrées dans le plat. Ce détail inattendu les rend à la fois fragiles et émouvantes. Toutes sont blanches et émaillées, ce qui renforce leur élégance et leur pureté.
Morrison est ouvert à toutes sortes d’influences, surtout celles qui sont populaires ou traditionnelles, ou celles qui rappellent les grands maîtres du design moderniste. Du moment que les objets sont sans esbroufe et sans clinquant, mais honnêtes et bienveillants. Il a publié chez Lars Müller Publishers, en 1998, un recueil fait uniquement d’images qu’il a glanées de-ci de-là, intitulé
A world without words, un monde sans paroles car construit à partir d’images qui se passent de commentaires. Les objets de Morrison sont aussi modestes que silencieux car il est évident qu’ils expriment ce à quoi ils servent dans l’immédiateté, qu’ils donnent la sensation d’être des bons objets (dans le sens des Good Goods chers à Starck), des objets avec lesquels il fait bon vivre.

- VALLAURIS, Musée Magnelli, 8 juillet- 23 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°518 du 1 juillet 2000, avec le titre suivant : Minimal Morrison

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