La reprise s’est confirmée en 1998

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 22 janvier 1999 - 1978 mots

La reprise, amorcée en 1997, s’est confirmée en 1998 sur les principales places du marché de l’art. Selon les statistiques d’Art Sales Index, le marché mondial est passé de 11,25 milliards de francs en 1996-97 à 14,62 milliards en 1997-98, soit près de 30 % de hausse. Elle s’explique d’abord par une augmentation des prix moyens de 17 %, mais aussi par celle des quantités vendues qui augmentent de 7,6 %. Après six mois d’activité, Sotheby’s annonçait des résultats en hausse de plus de 15 % et un produit total de 215 millions de dollars (1,29 milliard de francs). Christie’s enregistrait en revanche, à mi-parcours, une baisse de 4 % qui s’explique par les ventes exceptionnelles réalisées en 1997 (la collection Loeb avait engrangé à elle seule un produit de 93 millions de dollars). À Paris, le produit “Art�? vendu, qui a progressé de 10 % par rapport à 1997, devrait s’élever à près de 3 milliards de francs, le produit global vendu restant stable à 3,8 milliards. L’année 1998 a été marquée par la dispersion de plusieurs collections prestigieuses, comme celles de Jacqueline Delubac, des « Trésors de la Bibliothèque du commandant Paul-Louis Weiller » et des « Picasso de Dora Maar ». De nombreux records ont été battus, en France comme à l’étranger, dans la plupart des secteurs du marché étudiés dans cette page.

Art ancien euphorique
L’année 1998 a été euphorique pour le marché de la peinture ancienne. En janvier, à New York, Sotheby’s a réalisé plus de 53 millions de dollars de ventes (318 millions de francs), battant ainsi un record mondial pour une vacation de maîtres anciens. Un Rembrandt, Portrait d’un homme barbu en manteau rouge, est parti à 9 millions de dollars (54 millions de francs) ; un Rubens, la Tête de saint Jean-Baptiste présentée à Salomé à 5,5 millions de dollars (33 millions de francs). Une toile de Zurbarán a été enlevée chez Christie’s à 2,09 millions de dollars (12,5 millions de francs). Lors des ventes de juillet, à Londres, nettement plus ternes, quelques gros prix ont cependant été atteints. Christie’s a vendu une œuvre de George Stubbs, Malton monté par John Singleton, 3,02 millions de livres sterling (environ 30 millions de francs). “L’année 1998 a été un très bon cru, marqué néanmoins par une raréfaction des œuvres de qualité qui a induit une augmentation des prix pour les toiles les plus exceptionnelles”, explique l’expert Éric Turquin. Quelques très beaux résultats ponctuels ont été enregistrés à Paris, à l’écart des grandes ventes de Londres et New York. Une œuvre de Clara Peeters, Nature morte au pichet et à l’assiette de fromages, a été adjugée plus de 8 millions de francs à Drouot, le 8 juin, et une toile du Maître de la passion de Karlsruhe, la Flagellation du Christ, 30 millions de francs frais compris, le 9 décembre, preuve que les œuvres exceptionnelles mobilisent les collectionneurs.

Les dessins anciens, eux aussi marqués par un mouvement de hausse, ont connu un départ en flèche en janvier, à New York : un dessin de Hans Holbein le Jeune, Tantale, s’est vendu 745 000 dollars (4,1 millions de francs), doublant son estimation basse, alors qu’un Michel-Ange, Le Christ et la Samaritaine, était adjugé 7,5 millions de dollars (45 millions de francs). “Les prix sont à la hausse pour les dessins importants, car le climat est meilleur et les objets de grande qualité plus rares”, souligne Bruno de Bayser. À Paris, un climat favorable et des enchères très disputées ont poussé les prix. Un dessin de Millet, la Ravaudeuse, est ainsi parti à 1,7 million de francs en juin, chez Piasa.

Des modernes très prisés
Huit ans après le record établi par le Portrait du docteur Gachet, adjugé  82,5 millions de dollars en mai 1990, un accessit a été accordé à un autre portrait de Van Gogh, Autoportrait de l’artiste sans barbe, parti à 71,5 millions de dollars (400 millions de francs) lors d’une vente organisée par Christie’s, le 19 novembre, à New York. “Le marché des tableaux modernes poursuit son mouvement de hausse amorcé en 1997, constate Jacques de la Béraudière. La demande pour des tableaux de très grande qualité a été très forte. Sotheby’s et Christie’s ont néanmoins enregistré des pourcentages d’invendus élevés, qui s’expliquent par la présence d’œuvres de qualité moyenne de plus en plus nombreuses dans les ventes mais aussi par des estimations trop élevées”. D’autres records ont été battus cette année à New York : une toile de René Magritte, les Valeurs personnelles, 1952, provenant de la collection Harry Torczyner, a été adjugée 7,1 millions de dollars (40 millions de francs) ; un Portrait de Jeanne Hébuterne par Amedeo Modigliani, issu de la collection du Reader’s Digest, a fait 15,1 millions de dollars (84,5 millions de francs). “Un changement du goût s’est opéré chez les collectionneurs. Les locomotives impressionnistes ont désormais du mal à tirer le marché”, estime Marc Blondeau. Des tableaux de la seconde moitié du XIXe siècle ont également été salués par de fortes enchères. Une toile allégorique de William Bouguereau, Alma Parens, 1883, s’est vendue 2,6 millions de dollars (14,5 millions de francs), témoignant du potentiel énorme de ces tableaux qualifiés de “pompiers”. Paris a aussi connu quelques très belles enchères ponctuelles qui ne contrarient en rien la prééminence de New York. Un record mondial a été établi par un tableau de Delacroix, Choc de cavaliers arabes, à 51,5 millions de francs frais compris. Quelques très beaux prix ont été obtenus lors des ventes Dora Maar, qui ont totalisé un produit vendu de 223 millions de francs, la Femme qui pleure de Pablo Picasso ayant par exemple été adjugée 41 millions de francs frais compris.

Contemporains : l’envolée
Une toile d’Andy Warhol, Orange Marilyn, adjugée plus de 17 millions de dollars (104 millions de francs), a créé l’événement au mois de mai à New York. Un autre record a été battu, en mai, avec une œuvre de Lucian Freud, Large Interior W11 (after Watteau) partie à 5,8 millions de dollars (34,9 millions de francs). L’année 1998 a été une année très riche pour l’art contemporain, avec l’apparition en ventes publiques d’œuvres de la jeune génération. Christie’s, qui a réorganisé ses départements de peinture, propose désormais dans ses ventes d’art contemporain des pièces exécutées au cours des trente dernières années. La première, qui s’est tenue en avril dans un entrepôt du nord de Londres, a connu un beau succès puisque 87 % des lots ont été vendus pour 2,82 millions de livres (28 millions de francs) et plusieurs records battus : le Medecine cabinet de Damien Hirst a été acquis 188 500 livres (1,8 million de francs) par Helly Nahmad ; une pièce de Félix Gonzalez-Torres Untitled (Rossmore) a fait 106 000 livres (1,06 million de francs). Après l’échec des ventes organisées par Christie’s en octobre, en pleine crise boursière (57 % de lots vendus), l’année s’est particulièrement bien terminée. En novembre, un autoportrait de Jean-Michel Basquiat a été adjugé 3,02 millions de dollars (18,5 millions de francs), huit fois son estimation basse, un prix record pour une œuvre de l’artiste. Plusieurs autres records ont été établis pour Robert Gober – Untitled (Man in drain) 552 500 dollars, 3 millions de francs –, Mouna Hatoum, Cindy Sherman, Damien Hirst, Jeff Koons. Succès aussi, en décembre, pour la collection Saatchi qui a dépassé ses estimations en réalisant, à Londres, un résultat total de plus de 1,6 million de livres (14,7 millions de francs). Plus de 85 % des lots ont été vendus et, là encore, de nombreux records battus.

Bibliophilie : Paris gâté
L’année 1998 a été particulièrement faste pour la bibliophilie, qui demeure un des points forts de la place parisienne. La Bibliothèque nationale de France a préempté à 3,2 millions de francs, en juin, un exemplaire des premières épreuves complètes de l’édition originale des Fleurs du Mal de Baudelaire, puis en novembre, à 2,9 millions de francs, un exceptionnel manuscrit autographe d’Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud, issu de la collection Jacques Guérin (étude Tajan). La vente de la collection Paul-Louis Weiller, en novembre, a elle aussi connu un franc succès, réalisant un produit de 21 millions de francs pour 91 % de lots vendus. Les Heures de Jacques et Jeanne Cauchon à l’usage de Reims se sont vendues 4 millions de francs, les Heures de Guy de Laval, un manuscrit sur vélin illustré de 31 miniatures du Maître des Heures de Guise, 3 millions de francs. “Paris commence néanmoins à subir la concurrence de New York”, avertit Claude Blaizot. À Londres, un record mondial a été battu chez Christie’s, en juillet, par une édition de 1477 des Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer adjugée 4,6 millions de livres (46 millions de francs).

Mobilier : des chefs-d’œuvre à prix d’or
“En 1998, les très beaux meubles authentiques, les chef-d’œuvre, de plus en plus rares, se sont vendus à des prix croissants”, souligne Yves Mikaeloff. Une console en bois doré d’époque Louis XVI, attribuée à Prieur (vers 1766), a été adjugée 2,8 millions de francs le 25 mars par l’étude Piasa. “Au-dessus du seuil de 300 000 francs, on retrouve les prix de la fin des années quatre-vingt”, explique Camille Burgi. Une table Louis XVI de Martin Carlin, estimée 1-1,5 million de dollars, a été enlevée à 2,9 millions (plus de 16 millions de francs), le 5 novembre à New York.

Le mobilier Art déco et particulièrement les objets de grande décoration ont, eux aussi, enregistré des prix élevés, les pièces de Frank, Ruhlmann et des frères Giacometti étant particulièrement prisées. “Les prix ont été soutenus et réguliers en France, mais n’ont pas atteint les niveaux exceptionnels enregistrés aux États-Unis (640 000 dollars, à New York, pour une paire de chaises d’Armand Albert Rateau)”, souligne Félix Marcilhac. Le mobilier des années quarante et cinquante a suivi ce mouvement ascendant. Les prix des œuvres de Frank, Poillerat et Arbus ont ainsi doublé en un an.

Extrême-Orient : stabilité
Les objets d’art d’Extrême-Orient ne semblent pas avoir trop souffert de la crise du Sud-Est asiatique et de l’instabilité de l’économie mondiale. “Le marché a poursuivi sa hausse pour les objets de grande qualité, constate l’expert Thierry Portier. En revanche, il y a très peu d’acheteurs pour les pièces de moyenne et basse gamme qui connaissent un affaissement des prix”. Les ventes de la Semaine asiatique, à New York en septembre, n’ont cependant pas rencontré le succès de leur homologue du printemps, une partie des clients asiatiques ayant boudé la manifestation en raison des difficultés monétaires. “Il y a un déchet énorme dans les ventes fleuves organisées à Londres, New York et Hong Kong. Les collectionneurs commencent à bouder les maisons de vente au profit des galeries”, remarque Christian Deydier.

Les dix plus belles enchères de l’année 1998 à Paris

1) Eugène Delacroix, Choc de cavaliers arabes, 51 550 000 francs (record mondial), Piasa, 19 juin 2) Pablo Picasso, La femme qui pleure, 41 020 000 francs, études Mathias et Piasa, 27 octobre 3) Maître de la passion de Karlsruhe, La flagellation du Christ, 30 000 000 francs, Me Cornette de Saint Cyr, 9 décembre 4) Pablo Picasso, Dora Maar aux ongles verts, 25 500 000 francs, études Mathias et Piasa, 27 octobre 5) Pablo Picasso, Dora Maar sur la plage, 12 750 000 francs, études Mathias et Piasa, 27 octobre 6) Canaletto, Vue du Môle depuis le Bassin de San Marco, 11 640 000 francs, Me Tajan, 25 juin 7) Pablo Picasso, Dora Maar tête penchée au foulard jaune, 11 307 000 francs, études Mathias et Piasa, 27 octobre 8) Clara Peeters, Nature morte au pichet et assiette de fromages, 11 200 000 francs, Me Ferri, 3 juin 9) Jean-Honoré Fragonard, Saint Pierre prosterné, 9 800 000 francs, étude Millon-Robert, 4 mars 10) Kees Van Dongen, Le lit de la bonne, 8 300 000 francs, étude Ribeyre-Baron, 16 mars. * Les prix sont indiqués frais compris

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°75 du 22 janvier 1999, avec le titre suivant : La reprise s’est confirmée en 1998

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