Galerie

ART CONTEMPORAIN

Emmanuel Lagarrigue, subtil opéra

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 28 février 2018 - 594 mots

PARIS

La galerie Sultana présente les dernières œuvres de l’artiste qu’il orchestre en une triple exposition conçue comme une œuvre totale en trois actes.

Paris. Le travail d’Emmanuel Lagarrigue se déploie sur un principe de permutation faisant systématiquement basculer l’observateur d’un champ à un autre. Il traduit ainsi des textes en poèmes de lumières, des œuvres sonores en partitions plastiques ou encore des images mouvantes en instantanés picturaux. Ce qu’il conserve de ses sources, c’est un principe d’encodage de l’esprit dans la matière, qui, selon qu’il sera appliqué à un champ ou un autre, transformera le regardeur en auditeur ou vice versa. Les différentes facultés cognitives du visiteur sont ainsi précipitées dans un principe d’exposition qui s’éprouve sur le mode de la promenade dans l’espace et, plus particulièrement ici, dans le temps.

Emmanuel Lagarrigue a en effet choisi pour ce projet de réaliser une manière d’opéra en trois actes, dont est actuellement visible le deuxième. Une référence qui semble a priori bien éloignée de cet artiste subtil dont le langage est on ne peut plus antinomique de l’emphase opératique. C’est que le projet repose sur un bug de traduction, pourrait-on dire. Intitulé Appassionata, le projet se réfère à un mode d’interprétation musical de l’opéra, « passionné ». Le « a », privatif en français, s’avère renforcer le sens en italien. Dans cette opposition s’ouvre l’espace intellectuel dans lequel se construit l’exposition.

Une scénographie expérimentale

Au commencement, il y a le Silence. Une série de photogrammes réalisés par l’artiste épelant en langue des signes le titre de l’œuvre, dès lors traduit par une gestuelle figée dans une image unique (tirage noir et blanc sur papier baryté, 1 200 euros). Ce silence est rejoué lettre à lettre dans l’espace par des mains articulées en bois, tenant des objets provenant de rebut d’atelier. Recyclés ici dans le concert de l’exposition, ils trouvent soudain une existence verbale et plastique (Playing Silence, 1 200 euros). Des ampoules lumineuses, juchées sur des structures tubulaires en cuivre, émettent de faibles signaux lumineux. Ce sont « Les Servantes », ces lumières utilisées au théâtre pendant les répétitions et qui, tant qu’elles sont allumées, signifient métaphoriquement que le théâtre vit encore. On pourrait y voir les battements d’un chœur qui entonne le refrain de cette exposition, en morse, et d’après un poème de Paul Celan (chaque Servante 3 000 euros). Tels des personnages, une grappe de sculptures se tient dans un coin lors du premier acte. Ces vitraux au plomb semblent entamer un dialogue. Ce groupe est intitulé L’Épuisé. Chacun des quatre membres n’est en fait qu’une occurrence d’un unique personnage dont les noms sont traduits en morse par les découpes colorées du vitrail (l’ensemble 7 000 euros). Dans le deuxième acte, L’Épuisé est remplacé par Il Sonno, une « cantate a due » (interprétée par deux chanteurs incarnant chacun un aspect d’un seul personnage). L’artiste a brûlé la cantate et mêlé les cendres dans des résines colorées et montées en vitrail (5 000 euros).

Fil conducteur de cet opéra, un rideau de scène constitué de panneaux mobiles de polyéthylène vaporisés de peinture se déplace dans l’espace d’une étape à l’autre, les panneaux étant eux-mêmes montés sur rails et mobiles (Composition, 9 000 euros). Les motifs formés en pochoir à la limite de l’abstraction, sont empruntés à des films. Des pièces sonores, reprenant en partie ces sources filmiques, viennent rythmer de leur étrangeté vocale cette exposition.

Si les rencontres sonores, verbales, plastiques ou visuelles transforment cette exposition en œuvre totale au sens opératique, l’expérience ne peut s’en faire ici que dans la perception de manifestations indicielles, à rebours de toute hyperbole lyrique.

Emmanuel Lagarrigue, Appassionata (un opéra),

Acte II jusqu’au 14 mars et Acte III du 15 au 31 mars, Galerie Sultana, 10 rue Ramponeau, 75020 Paris

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°496 du 2 mars 2018, avec le titre suivant : Emmanuel Lagarrigue, subtil opéra

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