Belgique - Foire & Salon

FOIRE D’ART CONTEMPORAIN

Art Brussels 2024, toutes toiles dehors

Avec une offre dominée par la peinture, la 40e édition de la foire bruxelloise a accueilli 26 000 visiteurs. Le changement de TVA inquiète le marché.

Bruxelles. Lors de sa copieuse 40e édition réunissant du 25 au 28 avril 177 galeries, Art Brussels a semblé à l’abri du monde même si ses tumultes et questionnements ne sont jamais loin. La peinture y a pris une très grande place, une peinture diverse où l’abstraction est rare.

C’est l’artiste brésilien Paulo Nimer Pjota, présenté par Mendes Wood DM, qui a remporté le prix du meilleur stand Solo [voir ill.]. Son travail emprunte aux arts populaires, à la culture de masse, à l’histoire de l’art et à la botanique. Il intègre tous ces éléments sur la toile sans hiérarchie et dans une exubérance de couleurs. Sur ses sculptures en bronze s’entremêlent fleurs de pavot et masque de mort ricanant prêt à croquer la vie. Chez Maruani Mercier (Bruxelles), Bea Scaccia a relu Peau d’Âne et y a trouvé une figure féminine forte qu’elle transpose dans ses toiles fantasmagoriques qui croisent les fils entre humain et animal, fourrure et bijoux, monstruosité et beauté. Charles-Henry Sommelette, représenté par Baronian (Bruxelles, Knokke), nous ramène dans un monde a priori plus familier. L’artiste qui vit et travaille dans la campagne wallonne peint ce qu’il voit autour de lui, des jardins, des chemins creux ou des pâturages. Il émane de ce vert paradis une sourde inquiétude comme si tout le monde avait pris la fuite dans l’imminence d’une catastrophe.

Invisibilisation, intériorité…

D’autres artistes réagissent par leur travail à l’invisibilisation des minorités, qu’elles soient d’origine, de genre ou de classe sociale. Allana Clarke, une artiste américaine originaire de Trinidad (Cuba) exposée par la Zander Galerie (Cologne, Paris), interroge le devoir de se conformer aux normes de la beauté. Dans ses photos comme dans ses sculptures, elle met en question l’esthétique capillaire imposée aux femmes afro-descendantes en détournant dans ses compositions des produits de beauté comme la colle de lissage ou le beurre de cacao. De manière moins frontale, Kensise Anders évoque aussi l’invisibilisation des femmes noires. Originaire d’Haïti, adoptée et élevée par une famille de pasteurs dans le nord de l’Allemagne, elle a développé une pratique qui mêle la performance et le textile. Chez Robert Grunenberg (Berlin), elle a présenté des tableaux créés à l’aide d’une technique particulière de crochet en 2D où elle questionne son identité à travers des portraits de poupées noires.

Les autoportraits aux couleurs sableuses de Diana Cepleanu semblent émerger d’un passé indéfini. Dans une série de petits formats où elle use de différents types de supports et touches picturales, elle creuse sans cesse le même sujet, tentant de capter son regard fuyant dans un miroir brisé. L’artiste roumaine est représentée par la galerie moldave Lutnita de Chisinau qui a reçu le Discovery Prize, destiné à soutenir la jeune scène. L’intériorité dans toute sa complexité et son humanité, c’est aussi ce qui caractérise l’œuvre protéiforme de T.R. Ericsson chez Harlan Levey Projects (Molenbeek-Saint-Jean, Belgique). Son art puise dans son parcours de vie et ses archives familiales. Il prend la forme de photos, dessins, publications et peintures avec des matériaux aussi divers que les cendres funéraires, la nicotine et l’alcool. Un de ses derniers projets, montré à la foire, est « 57 Years » où il va consacrer une peinture de petit format à chaque année de vie de sa mère décédée en 2003.

Patrick van Caeckenbergh, à la Ketelleer Gallery (Anvers), fait aussi de sa vie et de celle de ses proches le cœur de son œuvre, mais dans une approche plus surréaliste et absurde. Dans son univers-monde, les arbres portent les champignons et les maisons contiennent l’univers entier. Musicologue visuel, il a imaginé un nuancier qu’il appelle sa « collection de peaux »à partir de fractions d’épidermes découpés dans des magazines pornographiques avec lesquels il compose une partition cutanée.

À la Galerie Anne-Laure Buffard (Paris), le duo Bachelot & Caron a créé in situ l’installation Les Assassins assassinés (2024), un épatant trompe-l’œil inspiré d’une peinture de Magritte. Dans un espace cuisine domestique, entièrement accessoirisé en céramique, les deux artistes glissent les pièces d’un puzzle à énigme comme autant de références à l’œuvre tant de Magritte que de Chantal Akerman.

Sur l’esplanade devant le palais 5 étaient présentées les sculptures de 14 artistes en lice pour le prix Art for the City. C’est Marion Verboom, la lauréate, qui se verra confier la création d’une sculpture pour un lieu spécifique de la capitale. L’artiste a emporté l’adhésion du jury avec un de ses « totems », sculptures composites où se rencontrent diverses matières et motifs inspirés par différents styles et époques de l’architecture. Elle est représentée par la Galerie Lelong & Co (Paris), qui a par ailleurs vendu des œuvres de Jaume Plensa, David Nash, Pierre Alechinsky, Günther Förg et Guy Yanai, artiste nouvellement représenté.

Ventes d’artistes historiques

La satisfaction était largement partagée par les exposants. Ceysson & Bénétière a notamment vendu une œuvre de Frank Stella pour 225 000 euros et une autre de Bernar Venet pour 150 000 euros. La Galerie C (Paris) s’est séparée de tous les dessins de Solène Rigou et de presque tout de Henry Glavin. Et Thomas Zander se félicite de ventes à des collections belges et allemandes d’artistes renommés tels que Bernd et Hilla Becher, Christiane Baumgartner et Peter Downsborough.

« Art Brussels est devenue une excellente occasion d’entrer en contact avec une communauté dynamique d’artistes, de conservateurs, de collectionneurs et d’amateurs d’art », a témoigné Xavier Hufkens (Bruxelles), qui a mis Constantin Nitsche sous les feux de la rampe.La galerie 10 A.M. ART (Milan) exposait pour la deuxième année consécutive dans la section « Rediscovery », consacrée à la redécouverte d’artistes historiques méconnus. L’exposition personnelle de Sandro De Alexandris a été selon la galerie un succès : plusieurs œuvres ont été vendues, dont la plus importante, 3TS/LL 07, provenant d’une grande collection italienne.

Derrière l’euphorie inhérente à ce type d’événement pointe pourtant une inquiétude. Dans les travées de la foire, elle prend la forme d’un cœur flanqué du mot « Art » qu’arboraient certains des exposants ou visiteurs. Par ce symbole, ils entendent inciter un maximum de personnes à signer une pétition pour mettre en garde le gouvernement belge contre les effets désastreux sur le marché de l’art d’une hausse de la TVA envisagée à la suite de la « directive taux » 2022/542 de l’Union européenne. Les États membres sont tenus, à compter du 1er janvier 2025, de supprimer le régime particulier de la marge dont bénéficient les marchands d’art depuis 1996. La porte de sortie serait l’adoption d’un taux réduit de 6 % de TVA sur la totalité du prix, à l’exemple de la France qui a opté pour un taux de 5,5 %.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : Art Brussels 2024, toutes toiles dehors

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