Les très rares pièces du mobilier de Mallet-Stevens

Par Armelle Malvoisin · L'ŒIL

Le 1 mai 2005 - 1097 mots

Peu de pièces de mobilier de Robert Mallet-Stevens, acteur incontournable de l’UAM mais architecte avant tout, sont en circulation. Aussi les rares exemples de création intéressent aujourd’hui fortement les amateurs de mobilier moderniste.

« Contrairement à Chareau dont la production est assez ample pour permettre de définir et de structurer un marché, il n’y a pas assez de pièces de Mallet-Stevens pour nourrir les collectionneurs et établir une cote », explique Philippe Garner, directeur international du département des arts décoratifs du XXe chez Christie’s. « Mallet-Stevens a créé très peu de mobilier, c’est en cela que ses meubles sont rares et précieux », ajoute l’antiquaire Denis Doria dont la galerie fait référence en matière de modernité. Question prix, la dernière référence remonte au 17 juin 2003, date à laquelle la maison de vente Camard a cédé à Paris tout un ensemble de pièces à des enchères records. Une paire de chauffeuses de boudoir (ill. 35), vendue 58 970 euros, une coiffeuse (ill. 37), rare meuble adjugé 380 950 euros, et une travailleuse de boudoir (ill. 40), partie à 255 160 euros, ont été acquises par le musée privé des Arts décoratifs et de la Modernité de Gourdon pour des sommes jamais atteintes. Ces meubles aux lignes sobres, mariant les placages de bois précieux au métal, appartenaient au galeriste allemand Karsten Greve et venaient à l’origine de la villa de Paul Cavrois à Croix dont l’architecture et le mobilier ont été dessinés par Mallet-Stevens en 1932. Dans la même vente et de la même provenance, un fauteuil unique à dossier renversé a atteint 58 970 euros dépassant les 53 070 euros obtenus pour une suite de quatre fauteuils à dossier droit tandis qu’une table de salle à manger et ses six chaises ont été vendues 152 245 euros l’ensemble. Issues également de la villa Cavrois, d’autres pièces ont obtenu de beaux résultats comme une bibliothèque emportée 76 660 euros ou une paire de tabourets à assise curule vendue 35 380 euros. Adjugée 14 150 euros, une paire de fauteuils bas, modèle plus familier à bâti et piètement tubulaire en acier laqué, n’a pas dépassé son estimation. Sans provenance particulière, une paire de chenets qu’on n’avait jamais vue, a créé la surprise le même jour avec une enchère de 106 150 euros. Les lots de la vente ont été achetés précieusement par des collectionneurs résidant dans des demeures réalisées par Mallet-Stevens et avertis de la rareté de tels objets. Mais depuis deux ans, il n’est pas passé sur le marché de pièce importante signée Mallet-Stevens.

Du mobilier in situ
Aujourd’hui encore la vente Camard marque un tournant dans l’établissement des valeurs pour les créations mobilières de Mallet-Stevens. Car, depuis la vente de gré à gré organisée en 1986, le mobilier de la villa Cavrois a erré longtemps sans trouver amateur avant de connaître l’engouement. En avril 1997 à Monaco, Sotheby’s avait déjà mis sur le marché une partie de ce mobilier d’avant-garde « sans beaucoup de succès », se souvient l’expert de la vente Philippe Garner. Dans cette vacation un peu en avance sur son temps, nombre de pièces n’avaient pas trouvé preneur comme la coiffeuse, estimée 40 000 euros et la paire de chauffeuses, estimée 12 500 euros. « C’était trop tôt, aux dires de Christian Boutonnet de la galerie Arc en Seine. Les estimations proposées correspondaient aux prix pour Chareau, le seul point de repère pour cette production moderniste. Or Mallet-Stevens n’était pas aussi connu que Chareau à l’époque. » Le marchand parle en connaissance de cause car il a racheté ce mobilier à son propriétaire en 1991 avant de l’exposer au Salon de mars à Paris en 1992. « Là encore, c’était un peu tôt pour montrer ce mobilier minimaliste novateur pour lequel le goût n’était pas encore mûr », relève Rafaël Ortiz, l’autre associé de la galerie.
Un coup de chance va permettre cependant à l’enseigne de la rue de Seine d’en vendre une grande partie au galeriste allemand Karsten Greve qui, ayant ouvert sa galerie parisienne en 1989 dans le quartier du Marais, a choisi d’occuper le dernier étage de l’hôtel Martel, l’une des cinq villas édifiées par Mallet-Stevens dans le XVIe arrondissement parisien dans la rue éponyme. Ayant restauré son appartement à l’identique, le nouvel occupant de l’hôtel Martel est tombé de façon providentielle sur le mobilier de la villa Cavrois présenté par la galerie Arc en Seine. Il a emporté la coiffeuse, la travailleuse, la salle à manger… « Tout ce que Karsten Greve ne nous a pas acheté, essentiellement parce que son appartement était relativement petit, on l’a gardé longtemps sans pouvoir le vendre », évoquent les deux antiquaires. C’est notamment le cas d’une très large table basse construite comme une petite architecture, pièce importante et unique créée pour la villa Cavrois qui a finalement trouvé un acquéreur en 1995 pour un montant non communiqué. Mais dix ans plus tard, on peut affirmer que cette table iconique de Mallet-Stevens trouverait plus facilement preneur à un prix très soutenu, autour de 200 000 euros. Du côté des ventes publiques également, même si les œuvres surgissent de manière sporadique sur le marché, on a pu observer à partir de la fin des années 1990 un frémissement sur les rares créations mobilières de l’architecte. Un coup de marteau significatif de 110 300 dollars a été donné chez Christie’s à New York le 7 juin 1996 pour le bureau en métal provenant de la villa Noailles à Hyères, une importante commande dans la carrière d’architecte et d’ensemblier de Mallet-Stevens qui avait été estimée seulement 7 000 à 9 000 euros. Le 22 mai 2000 chez Tajan, une table basse en chêne et bois de placage reposant sur trois grosses boules s’est envolée à un peu plus de 275 000 euros, établissant un nouveau record pour l’un des pères fondateurs du modernisme. Un portemanteau en métal patiné noir avec ses trois patères en lame de métal poli, issu de la collection Michel Souillac et adjugé moins de 10 000 euros en 1993 à Drouot par Mes Poulain et Le Fur, a finalement été emporté à 42 460 euros en 2003 lors de la vente Camard. Désormais pour établir la valeur d’un meuble de Mallet-Stevens dans ce qu’il a créé de plus rare ou d’unique, il faudra se référer à cette fameuse vente du 17 juin 2003. L’exposition rétrospective du Centre Pompidou, en plus de mettre en lumière l’œuvre de l’architecte, devrait susciter l’intérêt de collectionneurs sur les rares meubles susceptibles d’apparaître sur le marché, voire même pousser les prix vers le haut.

Où acheter du mobilier Mallet-Stevens...

- Galerie Doria, PARIS, 1 rue des Beaux-Arts, VIe, tél. 01 43 25 43 25. Exposition sur Mallet-Stevens jusqu’au 30 juillet. - Galerie Down Town, PARIS, 33 rue de Seine, VIe, tél. 01 46 33 82 41, www.galeriedowntown.com - Arc en Seine, PARIS, 27 et 31 rue de Seine, VIe, tél. 01 43 29 11 02.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°569 du 1 mai 2005, avec le titre suivant : Les très rares pièces du mobilier de Mallet-Stevens

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