Les codes du portrait princier

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 2 octobre 2017 - 1082 mots

Trois magnifiques expositions aux musées du Louvre et du Luxembourg mettent en lumière l’art du portrait réalisé dans les écoles du Nord. Quels sont les codes des portraits princiers réalisés par Jean Clouet, Pourbus le Jeune ou Rubens ? Analyse d’œuvres…

1- Henri IV, roi de France en costume noir
Pourbus Le Jeune -  Le tableau de Pourbus est l’une des images les plus célèbres d’Henri IV. Il a grandement participé à forger la légende du « Bon Roi Henri » au caractère affirmé mais bonhomme. Portrait charnière, il est à mi-chemin entre l’iconographie du prince humaniste de la Renaissance et le monarque absolu des temps modernes qui revendique son autorité. Premier souverain de la branche des Bourbons à monter sur le trône, Henri IV arrive au pouvoir dans une période catastrophique. Il succède à un roi assassiné, dans une France déchirée par les guerres de religion. Protestant ayant dû abjurer sa foi, il œuvre à la pacification du royaume, tout en menant une campagne de communication sans précédent pour légitimer son avènement. Fleurissent alors les statues, les peintures mythologiques où il est divinisé et les portraits. Avec sa mise en scène majestueuse et sa position en pied, celui-ci constitue le prototype des portraits des Bourbons. Un modèle dont ces rois s’inspireront même après la Révolution [Exposition « Théâtre du pouvoir »].
2- Marie de Médicis, reine mère de France
Rubens -  On A Souvent dit que Rubens n’aimait pas le portrait, car ce registre laisse moins de place à l’invention que la peinture d’histoire. Pourtant, il a excellé dans ce domaine et a été le portraitiste le plus couru de son temps. Il a d’ailleurs immortalisé tellement de têtes couronnées qu’on l’a surnommé « le prince des peintres et le peintre des princes ». Fin courtisan, l’artiste maîtrise à la perfection les codes du genre : position, décorum, mais aussi objets incontournables pour signifier le rang de son commanditaire. Mais il a surtout su trouver le juste degré d’idéalisation qui permet de flatter la sensibilité du modèle tout en restituant la vérité de ses traits. C’est cette délicate osmose qui confère à ses portraits officiels un naturel inédit. À l’instar de la fameuse effigie de Marie de Médicis qui, malgré l’omniprésence du noir, dégage une puissante sensation de vie grâce à un magnifique travail sur la carnation et de subtiles touches de lumière dans les yeux et les accessoires [Exposition « Rubens. Portraits princiers »].
3- Portrait d’Anne d’Autriche, reine de France
Rubens -  Pour Prendre la mesure de la petite révolution instillée par Rubens dans l’art du portrait officiel, il suffit de comparer le portrait d’apparat d’Anne d’Autriche à celui de sa belle-mère, Marie de Médicis, représentée avec les mêmes atours par Pourbus Le Jeune, seulement quelques années plus tôt. Le décalage entre les deux tableaux est sans équivoque. Dans le portrait de parade de Pourbus, la position du modèle est assez rigide et le costume rendu de manière stéréotypée. Chez Rubens, malgré le caractère solennel, le décorum est beaucoup moins déclamatoire, le cadrage semble plus spontané, et la souveraine est nettement plus vibrante grâce à son regard pétillant et au traitement de sa peau diaphane légèrement rehaussée de nuances roses et bleues. Surtout, les différentes matières sont traitées de manière extrêmement sensuelle : les textures de la soie et du velours sont presque palpables, tandis que les couleurs chatoient et que les joyaux de la parure royale étincellent de mille feux [Exposition « Rubens. Portraits princiers »].
4- Louis XIII couronné par la Victoire
Champaigne -  Le Tableau de Philippe de Champaigne montre clairement une nouvelle conception du portrait au XVIIe siècle. S’il reprend certains codes du portrait en armure d’Henri IV par Pourbus, il lui confère un tout autre impact par sa taille. Louis XIII, immortalisé en roi de guerre, y est en effet représenté plus grand que nature dans une composition monumentale. Celle-ci traduit clairement la volonté d’inspirer le respect à ses sujets, et plus encore, d’impressionner ses ennemis. Dans cette grande machine, chaque détail possède une signification bien précise à la gloire du souverain. Armure très ouvragée, bâton, épée, écharpe blanche et cordon du Saint-Esprit ; le monarque a revêtu toute la panoplie du guerrier de son temps, tandis que le port altier et le velours rouge et or apportent une touche supplémentaire de majesté. Enfin, l’élégante figure ailée de la Victoire, qui lui remet une palme et le couronne de lauriers après la reddition des Rochelais, l’élève symboliquement au rang de héros [Exposition « Théâtre du pouvoir »].
5- Portrait de Pierre Aymeric
Corneille De Lyon -  Contre toutes attentes, Corneille de Lyon n’est pas originaire de la capitale des Gaules mais de La Haye ! Son style sensible mais direct est toutefois diamétralement opposé à la facture léchée de son illustre confrère néerlandais. Chez Corneille, on est ainsi à des années-lumière de la minutie et de la pureté porcelainée de Clouet. Si ses portraits sont minuscules – celui-ci mesure seulement 16 cm de haut –, ils ne relèvent en effet absolument pas de la miniature, mais bien de la peinture pure. Ses portraits, saisis sur le vif, frappent par leurs empâtements d’une modernité sidérante et le traitement presque abstrait des fonds. Mais aussi par la fraîcheur et la franchise décomplexée des modèles, comme ce marchand de vin auvergnat qui regarde le spectateur droit dans les yeux, vêtu d’un costume presque fruste, et arborant une coiffure et une barbe un brin hirsutes. Cette recherche de la vérité psychologique et physionomique est une tendance de fond chez les peintres du Nord [Exposition « François Ier et l’art des Pays-Bas »].
6- Portrait équestre de François Ier
Jean Clouet -  Le Portraitiste le plus célèbre de l’école française de la Renaissance était en réalité un Flamand. Jean Clauwet, plus connu sous le nom francisé de Clouet, est en effet l’auteur de nombreux tableaux iconiques représentant la Cour, dont la célébrissime effigie de François Ier qui illustre nos manuels d’histoire. Il a également réalisé d’autres portraits plus atypiques du vainqueur de Marignan, dont cet étonnant portrait équestre. Comme cela se pratiquait aux Pays-Bas, cette grande miniature a certainement été conçue comme une œuvre autonome, et non comme une page d’un livre enluminé. Cette peinture d’un extrême raffinement pourrait à elle seule résumer toutes les influences qui nourrissent le style de Clouet. Elle conjugue en effet les stéréotypes du portrait des empereurs antiques et les codes de l’enluminure italienne représentant les condottieres du Quattrocento, sans oublier la posture de trois quarts typiquement flamande, tout comme ce goût particulièrement prononcé pour les détails [Exposition « François Ier et l’art des Pays-Bas »].

« Rubens. Portraits princiers »,
du 4 octobre au 14 janvier 2018. Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, Paris-6e. Du lundi au dimanche de 10 h 30 à 19 h, le vendredi jusqu’à 22 h. Tarifs : 12 et 8,5 €. Commisaire : Dominique Jacquot. www.museedu luxembourg.fr
« Théâtre du pouvoir »,
du 27 septembre au 2 juillet 2018. Petite Galerie du Louvre, Musée du Louvre, allée Richelieu, Paris-1er. De 9 h à 18 h, sauf le mardi, le mercredi et le vendredi jusqu’à 21 h 45. Tarif : 15 €. Commissaires : Paul Mironneau et Jean-Luc Martinez. www.louvre.fr
« François Ier et l’art des Pays-Bas »,
du 18 octobre au 15 janvier 2018. Musée du Louvre, hall Napoléon, Paris-1er. De 9 h à 18 h, sauf le mardi, le mercredi et le vendredi jusqu’à 21 h 45 h. Tarif : 15 €. Commissaire : Cécile Scaillérez. www.louvre.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°705 du 1 octobre 2017, avec le titre suivant : Les codes du portrait princier

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