Les belles heures de l’architecture à Chantilly

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 avril 2004 - 613 mots

Si l’exposition du Louvre fait la part belle à l’architecture avec une évocation de l’apogée du gothique flamboyant, né sur le chantier de Vincennes, la présentation exceptionnelle au public des Très Riches Heures du duc de Berry en constitue un indispensable prolongement, tant le manuscrit est une source incontournable de l’architecture du début du XVe siècle. Commandé en 1411 par l’oncle de Charles VI, le duc Jean de Berry (1340-1416), aux frères Paul, Jean et Herman Limbourg, le manuscrit n’était pas achevé en 1416 lorsque les peintres et leur commanditaire disparurent, probablement emportés par la peste. Barthélémy d’Eyck (vers 1440) puis Jean Colombe (en 1485) en achevèrent les peintures. Acquis en 1856 par le duc d’Aumale (1822-1897), ce livre de prières à l’usage des laïcs est depuis lors conservé parmi les trésors du musée Condé, dont il ne peut sortir, comme toutes les autres pièces du musée. Pour cette première présentation au public, les feuillets du manuscrit, enchâssés dans une reliure du XVIIIe siècle, seront tournés toutes les semaines. Une occasion unique pour apprécier de visu le luxe des résidences ducales ou royales de l’époque, aujourd’hui détruites ou largement ruinées. Car le duc de Berry fut un véritable amateur d’architecture. Sur le feuillet consacré à la Tentation du Christ, c’est « la tentation du duc », son château de Mehun-sur-Yèvre, qualifié de « plus belle maison du monde » par le chroniqueur Jean Froissart, qui occupe la majeure partie de la miniature. Avec ses parties hautes à l’aspect déchiqueté, cette maison de plaisance, dont il ne reste aujourd’hui qu’une tour, a abondamment nourri l’imaginaire du château médiéval.
Les autres forteresses modernisées par le duc – par des surélévations ou le percement de grandes baies à meneaux – sont représentées dans les grandes peintures du calendrier du manuscrit : Lusignan (mars), Dourdan (avril), Étampes (août, cf. ill. 7), Poitiers (juillet). Le catalogue de châteaux se poursuit avec les résidences des neveux du duc, le château de Saumur de Louis II d’Anjou (septembre), mais aussi les résidences royales, telles qu’elles ont été embellies par Charles V. Le donjon de Vincennes (décembre) y est représenté enserré dans sa vaste enceinte hérissée des neuf hautes tours quadrangulaires qui dominaient la forêt voisine (arasées auXIXe siècle). Le palais de la Cité, résidence urbaine pourtant délaissée par Charles V après la révolte d’Étienne Marcel, y occupe une place de choix (mai et juin). Sur la miniature de juin, le palais est vu des fenêtres de l’hôtel de Nesle, la résidence parisienne du duc de Berry. On y découvre toute la partie occidentale du palais, disparue définitivement lors des travaux du Palais de Justice au xixe siècle. L’importante masse de la Sainte-Chapelle domine l’ensemble, où l’on aperçoit, derrière l’enceinte crénelée, le logis royal s’ouvrant sur le jardin. De la masse des toitures jaillissent les deux pignons ouvragés de la « grand salle », chef-d’œuvre de la construction du règne de Philippe le Bel, incendiés en 1618. Le long de la Seine, à l’avant des tours encore existantes, les bâtiments sont prolongés par la célèbre « salle du bord de l’eau » de Saint Louis, puis par le pavillon des étuves, à usage de bains, qui surplombe
la Seine.
Comment ne pas douter de la validité de ce formidable témoignage ? Sur ce point, les travaux du Grand Louvre ont apporté des preuves essentielles. En mettant à jour les vestiges du Louvre médiéval, les archéologues ont constaté que l’emplacement des éléments de soubassement dégagés lors des fouilles correspondaient à leur position sur la miniature du mois d’octobre, consacrée au Louvre de Charles V... Un argument de poids, qui n’exclue pas une certaine liberté dans le rendu du décor de ces édifices...

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : Les belles heures de l’architecture à Chantilly

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