Les artistes se retrouvent au café

Afin de réunir autour du zinc, thème fédérateur s’il en est, écrivains, peintres, graveurs, cinéastes, photographes et permettre à chacun d’en exploiter la poésie à sa guise. Jamais traité sous cette forme, le sujet était risqué. Le pari est réussi. Au fil des quatre sections qui cadrent le propos, le café n’apparaît pas comme un endroit quelconque pour la pause de la journée, il devient un espace identifié où la société débat, critique, s’encanaille, cache sa solitude, partage ses espoirs, raconte ses visages. À la suite de Balzac, c’est ce parlement social que peignent, fixent et filment Daumier, Vuillard, Dufy, Foujita, Doisneau, Louis Malle ou Autant-Lara. Musset vantant l’absinthe rejoint Baudelaire qui loue le vin démocratique. Les amateurs de gin cocktail de Toulouse-Lautrec trinquent avec Les Buveurs de bière de Gromaire. Le visiteur est invité à confronter des artistes qui, du comptoir de la brasserie à la terrasse d’une guinguette, sont inspirés par un spectacle réinventé au quotidien et en renouvellent l’approche, fauve, réaliste, impressionniste ou cubiste. Dans ce cercle longtemps masculin et bohème, par goût de séduction ou droit à l’émancipation, la femme a conquis sa place. Mais, à l’instar de La Petite Lina de Camoin, de la troublante Sylvia von Harden d’Otto Dix, plus encore de cette figure anonyme sous son chapeau fleuri, délicat et surprenant portrait de Rothko, elle se sent, dans une telle atmosphère, isolée ou épiée. L’accrochage déjoue le piège des courbes et des poteaux de cet étonnant geste architectural qu’est la Cité du vin et parvient à créer un parcours cohérent. J.K. Huysmans, dont Forain a illustré les ouvrages, disait qu’il y a des breuvages qui, pris ailleurs que dans un café, perdent leur saveur. À consommer sur place.