Entretien

Catherine Trautmann Ministre de la Culture de 1997 à 2000

« Soutenir la création »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 8 octobre 2004 - 1013 mots

Née en 1951, Catherine Trautmann a été ministre de la Culture et de la Communication de juin 1997 à mars 2000 dans le gouvernement de Lionel Jospin. Elle est actuellement conseillère municipale de Strasbourg et députée européen.

Quel est votre meilleur souvenir de ministre de la Culture ?
Plusieurs souvenirs me viennent à l’esprit. Mon arrivée au ministère, où j’ai eu la surprise de voir des centaines de visages, accueillants et chaleureux, à toutes les fenêtres des bâtiments de la Rue de Valois. Je me suis profondément attachée à tous les personnels du ministère de la Culture. Aussi, les moments de prédilection qu’ont été les échanges informels avec des artistes, débats amicaux, vifs parfois, m’ont plongée dans cette incomparable ébullition de la création contemporaine, sa recherche, ses coups d’éclat, sa beauté.
Ces moments ont représenté des temps de respiration dans mon travail et une source renouvelée d’énergie. Néanmoins, la réforme de l’audiovisuel m’a privée de la possibilité de les multiplier. Et puis, il y a ces moments ambivalents de crainte et de soulagement dont quelques-uns sont d’excellents souvenirs. La première Fête de l’Internet ou l’ouverture de la Bibliothèque François-Mitterrand, après le grand déménagement, ou encore le premier dimanche matin de gratuité des musées. Crainte que cela ne marche pas et soulagement de voir la réponse immédiate des internautes, l’assaut des lecteurs ou des visiteurs.

Quel est votre plus grand regret ?
Ce que je regrette le plus, c’est d’avoir dû interrompre mon action au ministère alors que je voyais le ciel s’éclaircir dans le secteur de la communication, et de n’avoir pu mener à leur terme des projets auxquels je m’étais intensément consacrée : la réforme du spectacle vivant, la loi sur l’archéologie préventive, celle sur les Archives nationales. Ou encore les projets prioritaires qui venaient de recevoir l’aval du Premier ministre (Palais de Tokyo, Maison du cinéma, Cité de l’architecture, enseignements artistiques).

Quel bilan tirez-vous de votre passage Rue de Valois ?
En arrivant Rue de Valois, deux données s’imposaient à moi : le foisonnement et la dispersion de l’action de ce ministère, liés à son expansion rapide dans les années 1980, et une grande fragilité tant structurelle que financière. J’avais pour objectif de replacer la culture au centre du pacte républicain, tout en lui permettant d’être déterminante dans la transformation imposée à notre société par les technologies de l’information et de la communication ainsi que par l’évolution de l’équilibre entre les différents acteurs.
Mon action s’est alors déployée dans plusieurs directions. Redonner sens et cohérence à la responsabilité de l’État au travers de la reformulation du service public, aussi bien culturel qu’audiovisuel. Ceci pour mieux assurer la réciprocité des garanties et obligations entre l’État et ses partenaires, créateurs, collectivités, entreprises, mécènes ; pour lui donner aussi tous les moyens de défendre la spécificité de la culture, non comme simple produit de divertissement ou de consommation. Cela n’a jamais signifié pour moi que l’État régente tout, mais qu’il gagne en fiabilité, comme garant de la liberté de création et comme dispensateur des moyens publics indispensables. Selon qu’il est fiable ou non dans sa parole et son intervention, l’État est un contributeur positif ou négatif à l’économie culturelle : positif quand il permet la modernisation du marché de l’art et soutient artistes, galeristes, éditeurs, troupes ou architectes, sur le plan national comme international, quand il investit dans la formation ; négatif quand il accumule les dettes envers les collectivités ou met en péril des institutions ou des professionnels par son retrait, comme on l’a constaté avec le problème des intermittents.
Une autre direction a été la démocratisation culturelle, qui s’est développée aussi bien dans l’accès aux œuvres majeures par les prêts de chefs-d’œuvre aux musées de province, la création des « espaces culture multimédia », pour lutter contre la fracture numérique, que dans la relance des projets de bibliotèques-médiathèques. Sans parler des opérations de réduction tarifaire dans les théâtres nationaux, ou de la gratuité dans les musées, accompagnées du soutien aux pratiques culturelles et du rapprochement avec les mouvements d’éducation populaire.
S’est ajoutée la volonté de concilier patrimoine ancien et création contemporaine, aussi bien dans l’organisation du ministère que dans ses interventions, ainsi que le soutien à la rencontre des arts dans les nouvelles formes de création. J’évoque, par exemple, les arts de l’image et ceux du spectacle vivant.
J’ai enfin souhaité que l’on donne à la diversité culturelle une dimension effective en incluant la reconnaissance de la diversité des langues de France, et un dernier chantier a été celui de la réforme des écoles et des formations, dossier long qui doit impérativement être poursuivi, tant la reconnaissance de nos artistes en dépend.

Aujourd’hui, quelles sont selon vous les priorités dans le domaine de la politique culturelle ?
Votre question m’inspire une réflexion. Tout responsable de la politique culturelle de la France ne peut tenir un discours ambitieux et vindicatif dans les négociations internationales sans démontrer dans son action la place éminente et centrale de la culture dans notre pays et pour tous les Français. Cette action se juge d’abord à l’état et à la force du ministère de la Culture. Elle s’apprécie aussi dans la capacité d’anticiper et de maîtriser les mutations des industries culturelles pour protéger créateurs, auteurs et diffuseurs. Je pense au problème de piratage dans le disque, au cinéma de plus en plus dépendant de la télévision. Mais il s’agit aussi de consolider par une politique déterminée les domaines fondamentaux du ministère. Je veux parler de tout ce qui a trait à l’écrit (archives, bibliothèques, livres) comme à la conservation et à l’acquisition des œuvres. Il s’agit là aussi bien des musées et des FRAC [Fonds régionaux d’art contemporain] que de l’encouragement aux collections privées et au mécénat. [Cela concerne] le patrimoine historique bâti ancien et actuel, conçu comme facteur de développement des territoires, et surtout le soutien à la création, la connaissance et la diffusion des œuvres du spectacle vivant.
Une politique culturelle s’inscrit dans son temps. En ces temps de rigueur budgétaire, seule la volonté politique peut lui préserver la place éminente qui doit lui revenir dans notre pays.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°200 du 8 octobre 2004, avec le titre suivant : Catherine Trautmann Ministre de la Culture de 1997 à 2000

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