Les Docks cherchent leurs marques

Le Journal des Arts

Le 19 septembre 2012 - 992 mots

Après des années d’incertitude, la Cité de la mode et du design a ouvert ses portes à Paris
avec un projet ambitieux qui met surtout en avant la mode et le monde de la nuit.

Si un lieu parisien a fait parler de lui cet été, c’est bien celui-ci. La Cité de la mode et du design, ou plus simplement « les Docks », a offert une programmation festive et pléthorique depuis sa réouverture en grande pompe en avril dernier, entre expositions du Musée Galliera hors les murs, résidence d’une créatrice, showrooms, boutiques, restaurants et bars nocturnes.

Le bâtiment, repérable à sa silhouette reptilienne arrimée sur le quai d’Austerlitz, a pourtant été inauguré il y a quatre ans, en juin 2008. Mais à l’époque, seul l’Institut français de la mode (IFM) investit réellement les lieux, occupant à peine 2 300 mètres carrés sur les 14 400 mètres carrés disponibles. Autant dire que le projet, lancé dès 2002 par le ministère de l’Industrie, peine alors à trouver des institutions et des partenaires commerciaux intéressés. Malgré les efforts conjugués de la Fédération française de la couture, de l’IFM et de l’association Valorisation de l’innovation dans l’ameublement, le lieu patine et cherche à tâtons ses marques entre design, mode et création. La grande cité de la création française censée valoriser l’image de Paris comme haut lieu de la mode n’attire pas les foules d’investisseurs. Pourtant l’ambition est là, les moyens également : financés par la Caisse des dépôts et consignations, les travaux de réhabilitation de l’ancien entrepôt du port autonome de Paris, estimés à près de 40 millions d’euros, ont été confiés au duo Jakob  MacFarlane. Les architectes conçoivent la résille verte qui enserre le bâtiment en béton, si facilement reconnaissable, le « truc vert » raillé par l’ancien président Nicolas Sarkozy.

Entre 2008 et 2011, la Cité sommeille, tandis que la Caisse des dépôts cherche une équipe pour animer la belle endormie, et que la Ville de Paris, sans doute occupée par l’élaboration d’autres centres de production artistique, le « 104 » et la Gaîté-Lyrique, s’investit a minima. Entre-temps, en novembre 2009, la Région Île-de-France a créé de l’autre côté de la Seine le « Lieu du design », qui fédère professionnels et entreprises autour du design et de l’édition. Certes, la Cité accueille des manifestations comme la foire d’art contemporain Chic Art Fair ou le Designer’s Days, mais la Caisse des dépôts, qui verse un loyer conséquent au Port autonome, a tout intérêt à rendre les Docks attractifs sinon rentables.
À la fin de l’année 2010, une équipe est désignée pour définir un concept liant la mode et le design, les commerces et la culture. Un mille-feuille complexe réunit Clipperton Développement pour l’événementiel et la commercialisation des espaces, et Urbantech, dirigé par le créateur des restaurants Mama Shelter, pour piloter le secteur de la restauration.

Une opportunité se présente pour positionner dès le départ la Cité de la mode et du design : le Musée Galliera a besoin d’un espace pour ses manifestations hors les murs, en attendant la réouverture du bâtiment en 2013. Les expositions « Cristóbal Balenciaga, collectionneur de modes » et « Comme des Garçons, White Drama » coïncident donc avec la réouverture du lieu en avril. « Un élément très structurant, très fort, très communicant », qui a permis de construire le pôle mode autour de lui selon Clipperton Développement. Les espaces se sont ouverts progressivement jusqu’à l’été.
Volontairement éphémères, ces modules et boutiques sont appelés à se renouveler régulièrement. Du côté de la mode, l’accent a été mis sur le principe du « concept store », qui fait fureur depuis quelque temps. Une jeune marque, Bleu de Paname, et une petite enseigne, PLG by Pigalle. Plus ambitieuse, la résidence d’une jeune créatrice issue de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, Yiking Yin, programmée d’avril à octobre, permet d’accueillir un espace de création allié à un espace de présentation de sa collection. Là est la vraie bonne idée du lieu. Au vu de ce qui est proposé en matière de design, les interlocuteurs du milieu de la mode ont été beaucoup plus réceptifs au projet que les designers. La mode et le monde de la nuit se sont de toute évidence approprié le lieu, tandis que le design reste timide à la Cité. « Ce sont deux mondes différents », souligne un des acteurs du projet, « et à l’intérieur de ces mondes, il y a des chapelles, des prés carrés, ce qui rend la vie du lieu très complexe ». Le design français dispose déjà de nombreux lieux dans Paris.

Haut lieu de la nuit à Paris

Aujourd’hui, la Cité affiche cette dualité assez marquée, devenue en quelques mois un haut lieu de la nuit parisienne, avec 2 000 personnes chaque nuit au Wanderlust, son restaurant-club. « Les espaces de restauration ont pris une place extrêmement importante », reconnaît-on chez Clipperton Développement.

Du côté de l’Institut français de la mode, on y voit « une des clés d’entrée du monde de la mode à Paris, qui peut drainer des acteurs du monde entier, selon Lucas Delattre, professeur à l’IFM et responsable de la communication. Il faut souligner la dimension urbanistique du projet, avec la création d’un nouveau lieu dans le quartier, même si cela va prendre du temps. »
Restent quelques inconnues, et non des moindres : la Caisse des dépôts, qui n’est pas un organisme philanthropique, va-t-elle poursuivre et intensifier cette programmation culturelle et commerciale, qui pour l’instant n’est pas rentable économiquement ? Si la saison estivale a rencontré un réel succès de fréquentation, qu’en sera-t-il l’hiver venu, lorsque les terrasses de la Cité ne seront plus exploitables ? Le concept choisi est délibérément axé sur un aspect branché (voire élitiste) et événementiel. Il va maintenant falloir démontrer que le lieu est pérenne dans le paysage parisien : les défis ne manquent pas.

LES DOCKS-CITE DE LA MODE ET DU DESIGN

34, quai d’Austerlitz 75013 Paris, tél. 01 76 77 25 30, www.paris-docks-en-seine.fr, tlj sauf dimanche, 10h-19h (hors restauration).

Musée Galliera hors les murs : « Cristóbal Balenciaga, collectionneur de modes » ; « Comme des Garçons, White Drama », jusqu’au 7 octobre, tlj sauf lundi, 10h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°375 du 21 septembre 2012, avec le titre suivant : Les Docks cherchent leurs marques

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