Fabrice Hybert

L'ŒIL

Le 1 avril 2000 - 991 mots

Parmi les jeunes artistes français, il est aujourd’hui l’un des plus médiatiques. Il a transformé le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en hypermarché et le pavillon français de la Biennale de Venise en studio d’enregistrement. Fabrice Hybert s’attaque en avril à l’Arc de Triomphe qu’il éclaire de vert et plante d’essences rares. Plus qu’un dessinateur, un peintre ou un sculpteur, Hybert est un entrepreneur d’un genre nouveau.

Dans le cadre de la manifestation « Changement de temps » qui associe sept artistes contemporains (Serge Comte, Pierrick Sorin, Ange Leccia, Robert Wilson, Catherine Beaugrand, Sarkis) à sept monuments historiques (Glanum, Carcassonne, Saint-Denis, Chambord et Paris), Fabrice Hybert intervient à l’Arc de Triomphe dans les limites d’une double exigence : utiliser des technologies nouvelles et respecter l’image du lieu. Il propose ainsi un nouvel éclairage de l’intérieur de l’arche, une variation de lumières vertes faisant écho à un cercle de végétation planté autour du monument, et un site Internet, www.inconnu.net, où les visiteurs pourront à la fois consulter un répertoire de questions restées sans réponse et avoir accès aux sites de grands laboratoires de recherche. Ce projet concentre certaines des constantes du travail de Fabrice Hybert depuis ses débuts au milieu des années 80 : la couleur verte, évoquant à la fois la nature, les extraterrestres et constituant le signe de l’écologie dans ce qu’elle a de plus artificiel ; la référence à la science et l’intérêt pour les évolutions technologiques ; l’inscription dans un univers quotidien redéfini ; le goût des réseaux enfin et de la prolifération du sens qu’ils permettent.

Une entreprise rhizomatique
Des écrits de Gilles Deleuze, abondamment cités par l’artiste et ses commentateurs, Hybert retient principalement l’idée de rhizome, déclinée à tous les niveaux de son activité et construisant l’image d’une entité sans contours et en transformation continuelle. Avec une variété infinie de moyens d’action (du dessin à l’installation et même à la télévision comme le studio réalisé pour la Biennale de Venise en 1997), Hybert procède par accumulation de dessins et d’objets (les Peintures homéopathiques, commencées en 1986 et constituant la matrice de son travail), diversifiant ses activités jusqu’à produire des Prototypes d’Objets en Fonctionnement (POF) et à les distribuer par le canal d’une société fondée en 1994 et nommée UR (Unlimited Responsibility), inversion de la transcription phonétique du mot « roue ». L’Hybertmarché, gigantesque dépôt-vente installé dans les salles de l’ARC en 1995, illustrait dans cet esprit d’entreprise la possibilité pour chaque objet de susciter, avec l’aide de partenaires-fabricants, une intervention dans le domaine de la production. D’où l’image d’un artiste-entrepreneur, maîtrisant à merveille les moyens de communication, de « commerce » – pris au sens d’échange – et jouant d’interférences entre divers secteurs de l’activité humaine dans le but de « rendre l’action de l’entreprise contemplative », et de « rejustifier l’entreprise par rapport à une économie glissante et recentrer l’activité humaine sur le corps et ses désirs d’élévation ».

Autour du corps
Machines et désirs organisent pour une large part les expérimentations de Fabrice Hybert, dans une redéfinition des comportements et des fonctions du corps générée par les objets eux-mêmes : « Une œuvre est une prothèse mentale qui prolonge la pensée par le corps ». Dans cette optique d’une corporéité de la pensée, il œuvre donc à confondre œuvre et organisme, évoquant le plus souvent les images de la digestion (la résine qui fixe certaines Peintures homéopathiques en constitue l’un des moyens) et de la prothèse permettant, entre autres, d’établir des records et de faire muter les espèces. En cela, il s’inscrit dans la voie, largement pratiquée par la création contemporaine, de l’exploration des possibilités du corps, sous l’effet des progrès conjoints des maladies et de la médecine. Il travaille ainsi essentiellement sur les thèmes de la métamorphose, de l’hybridation, du monstre, incarnant les possibilités de transformation et l’état d’incomplétude de l’œuvre dans la figure de la larve. Il s’agit dès lors de « gonfler l’œuvre, la composer pour que l’objet devienne monstre, pour générer un nouveau désir, de nouveaux modèles ». L’Homme de Bessines, petit homme vert faisant office de fontaine, installé en 1991 sur le réseau d’eau d’une petite ville de la région poitevine, repris ensuite dans une commande plus large à Lisbonne, illustre assez l’intérêt de Fabrice Hybert pour les flux qui agitent le corps humain et régissent ses relations : de tous les orifices de cet homme ordinaire, précipité par sa couleur verte dans l’étrangeté extraterrestre, jaillissent des jets d’eau qui assimilent toutes les fonctions humaines – qu’elles soient perceptives, intellectuelles ou simplement biologiques – à un échange de liquides, d’humeurs.
« Machine désirante » ? Ou plutôt « corps sans organes » pour poursuivre avec les concepts forgés par Gilles Deleuze que Hybert semble décidément sans cesse paraphraser, ventriloquer en une lecture littérale qui réduit sa part d’inventivité, mais génère autour de son travail une fiction philosophique et scientifique qui en verrouille largement l’accès. Son discours, relayé par les critiques, offre peu de prise et livre une grille d’interprétation contraignante, comblant ainsi la banalité et la pauvreté volontaires de ses réalisations. Évoluant en effet dans l’enregistrement de l’insignifiant, dans la vacance de l’intensité, dans la non-vigilance, leur sens se situe en dehors d’elles, dans la relation qu’elles instaurent avec le spectateur et dans la pensée qui les fonde : « Développer toutes les substances de l’image c’est élaborer des réseaux sans cesse renouvelés où le vide donne la forme de la présence, c’est l’osmose absolument chaotique qui est l’essentiel de l’action de l’artiste. » Cette stratégie du creux, de la déception et la non-coïncidence des œuvres les dispensent d’exister par elles-mêmes, et leur force tient dès lors à une capacité d’absorption et de réémission d’impulsions extérieures : « corps sans organes » qui « se rabat sur la production désirante, et l’attire, se l’approprie » (Deleuze), elles constituent une surface d’enregistrement qui réfléchit, en donnant l’illusion d’une production autonome.

- PARIS, Arc de Triomphe, 19 avril-8 novembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°515 du 1 avril 2000, avec le titre suivant : Fabrice Hybert

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