De Poussin à Miró

Extension du domaine de l’expo

Le Journal des Arts

Le 8 octobre 2004 - 1501 mots

Dans le souci d’attirer toujours plus de public, les musées continuent de décliner
les grands noms de l’histoire de l’art et soignent les mises en scène.

Lors de l’exposition « Impressionnisme, les origines, 1859-1869 » au Grand Palais, à Paris (lire le JdA n° 2, avril 1994), Henri Loyrette, l’actuel président du Louvre, à l’époque directeur du Musée d’Orsay (1994-2001), affirmait sa volonté d’ouvrir « une nouvelle ère pour les programmes d’expositions », après un cycle de monographies consacrées aux impressionnistes. Si ces derniers restent des valeurs sûres, les dix années passées ont fait la part belle à Poussin (lire l’encadré) comme à Chardin, Dubuffet, Schwitters, Bacon, Beuys, Brancusi ou de Staël, à travers des rétrospectives d’envergure organisées en France.
Les grands noms attirent les foules, mais il faut trouver un angle nouveau, se concentrer sur un aspect de l’œuvre ou proposer une mise en regard de plusieurs artistes. Les expositions duelles se sont ainsi multipliées ces dernières années, avec de belles réussites comme Matisse-Picasso et Manet-Vélasquez. Les commissaires s’attachent aujourd’hui davantage à étudier une période dans la carrière d’un artiste – les premières années de Cézanne, les débuts de Miró –  ou un thème – « Les natures mortes de Manet » à Orsay, « Picasso érotique » au Jeu de paume (2001), « Degas et la danse » à Détroit et Philadelphie (2003), « Pont-Aven et Gauguin » au Musée du Luxembourg et à Quimper (2003). Serge Lemoine, directeur du Musée d’Orsay, note un phénomène plus récent, avec l’intérêt croissant porté par le public à l’art abstrait à travers la fréquentation élevée des expositions consacrées à Mark Rothko (1999) et Pierre Soulages (1995-1996) au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ou aux « Origines de l’abstraction » en 2003-2004 au Musée d’Orsay, une manifestation qui a accueilli plus de 250 000 visiteurs. L’Égypte garde intact son pouvoir de fascination, preuve en sont les expositions « Deir el-Medineh, les artistes de Pharaon » en 2003 au Louvre (450 000 visiteurs) et « Toutankhamon, l’or de l’Au-delà » à Bâle cette année (plus de 600 000 visiteurs). Enfin, la Renaissance italienne n’est pas en reste, si l’on considère le succès de Raphaël et de Botticelli au Musée du Luxembourg (respectivement 2001-2002 et 2004) – et celui annoncé pour Véronèse, présenté actuellement dans le même lieu.
Dans le domaine des expositions thématiques, « Le Temps, vite », lors de la réouverture du Centre Pompidou, « Les Années Pop », « Hitchcock et l’art » (2001), « La Révolution surréaliste » (2002), « Paris-Barcelone » au Grand Palais en 2002, « La Beauté in Fabula » en Avignon resteront certainement dans les mémoires. Depuis une décennie, Serge Lemoine remarque « une multiplication des très grandes expositions (monographiques ou thématiques), de plus en plus riches et complexes » et cite en exemple « Daniel Buren »  au Centre Pompidou (2002), déployée sur plus de 6 000 m2, avec une extension au sous-sol et sur les toits de différents monuments de Paris. Selon Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne, cette exposition « a constitué un événement majeur dans l’exercice de dialogue à hauts risques entre un artiste bousculant l’institution et la capacité d’absorption du musée vis-à-vis d’une telle démarche ».

Scénographie sophistiquée
S’il est souvent de bon ton de critiquer les manifestations grand public – par snobisme –, reste à définir ce que l’on entend véritablement par ces termes. Grand public ne veut pas dire sans contenu, fourre-tout, même si certaines expositions apparaissent discutables comme « Méditerranée » au Grand Palais (2000-2001), prétexte à rassembler des grands noms, mais qui, sur le plan scientifique, n’apportait rien de neuf. Autre cas, les expositions organisées dans un but délibérément financier, comme « Picasso, la collection de Jacqueline » à la Pinacothèque de Paris, montée à la hâte par souci de rentabilité et de levée de fonds nécessaires aux travaux du futur établissement (lire le JdA n° 184, 9 janv. 2004). Discutables aussi sont les expositions montées sur un nom, sans contenu manifeste. « Raphaël, grâce et beauté », au Musée du Luxembourg, a fait couler beaucoup d’encre : une campagne de publicité démesurée, 300 000 visiteurs pour contempler un maigre ensemble de neuf tableaux perdus dans une scénographie d’un goût douteux. Même s’il ne faut pas bouder notre plaisir de retrouver les « incontournables », tout le monde doit s’y retrouver, les institutions comme le public, en privilégiant la qualité, au rendez-vous lors de « Gauguin-Tahiti » ou « Picasso sculpteur »…
À une autre échelle, et loin des « grandes machines », des expositions plus pointues ont marqué la décennie, comme celle consacrée à Sébastien Bourdon à Montpellier (lire le JdA n° 110, 8 sept. 2000), suivie de la publication du catalogue raisonné de l’artiste par Jacques Thuillier. « Fra’Galgario » au Musée des Augustins à Toulouse (2004) a été une belle découverte, tout comme l’œuvre gravé de Jacques de Bellange à Rennes (Musée des beaux-arts, 2001), la peinture de Lubin Baugin à Orléans (Musée des beaux-arts, 2002) ou l’œuvre de Max Beckmann au Centre Pompidou (2002). Les expositions de dessins, nombreuses, ont pour certaines rencontré un vif succès : Simon Vouet au Musée des beaux-arts de Nantes (2002), Léonard de Vinci au Louvre, présentation considérée par Alfred Pacquement comme « un moment d’exception ». La plupart des musées ont entrepris au cours de ces dernières années la mise en valeur de leurs cabinets d’arts graphiques. Henri Loyrette relève par ailleurs la difficulté, sauf à miser sur un grand nom comme Brancusi ou Picasso, d’attirer le public vers des expositions de sculpture, ceci même lorsque le contenu est de grande qualité – citons à ce titre « De Pigalle à Canova » (Le Louvre, 2003-2004). L’architecture connaît aussi des difficultés, malgré de belles réussites (Jean Nouvel au Centre Pompidou, en 2002). Avec « Zola » (2002-2003) et « Victor Hugo » (2002) à la Bibliothèque nationale de France, le rapport entre la littérature et l’art a également fait l’objet d’expositions ambitieuses. Enfin, les manifestations centrées autour de la photographie se sont multipliées, suivant un engouement croissant pour ce médium (cf p. 24).
Henri Loyrette souligne aujourd’hui la nécessité « d’explorer des domaines inconnus ». Ce qu’il s’est attaché à faire au Musée d’Orsay avec des expositions qui ont révélé au public le Lituanien Konstantinas Ciurlionis, le Suédois August Strindberg – plus connu comme écrivain que comme peintre – ou le Danois Vilhelm Hammershøi, remportant un succès tant critique que public. L’actuel président du Louvre évoque la nécessité de ramener le public vers les collections permanentes des musées, quitte y à insérer les expositions temporaires. Ce lien plus étroit entre collections permanentes et présentations temporaires est sans conteste une évolution significative de ces dix dernières années.
La scénographie des expositions a également pris une importance nouvelle. L’environnement des œuvres se voit aujourd’hui davantage pris en compte – Henri Loyrette rappelle que, lors des premières expositions qu’il a organisées, le commissaire choisissait lui-même la couleur des murs, des tentures… Serge Lemoine parle de « starisation » de la scénographie des expositions. Les musées font appel à des architectes, mais aussi à « des designers, des artistes (Wilmotte, Nouvel, Starck, Gaultier…) de renom qui réalisent des dispositifs de plus en plus sophistiqués et élaborés qui constituent une œuvre à part entière » (ainsi la scénographie de Mattia Bonetti pour l’exposition Émile Gallé qui vient de  s’achever à Orsay). Ce que confirme Bruno Racine, président du Centre Pompidou : « Si les années 1980 ont vu la montée en puissance des scénographes, les dix dernières années ont vu en outre le développement de manifestations qui non seulement font appel à des équipements sophistiqués, mais tendent à devenir elles-mêmes de grands dispositifs. L’installation, en devenant un mode d’expression privilégié de l’art contemporain, a influencé en retour les conceptions muséographiques elles-mêmes. On est alors à la limite de l’exposition et de la représentation. »

Le meilleur de Poussin au Grand Palais

« Le plus sûr et le plus beau », titrait Dominique Brême dans le n° 7 du JdA, daté d’octobre 1994, pour évoquer le choix d’œuvres retenues pour l’exposition Nicolas Poussin (1594-1665) au Grand Palais. Dans un entretien accordé au journal, Pierre Rosenberg, alors nouvellement nommé directeur du Louvre et commissaire général de la rétrospective, affirmait avoir voulu proposer une exposition de chefs-d’œuvre de celui qu’il considère comme « le plus grand peintre français ». Cent dix tableaux et cent trente-cinq dessins, des pièces maîtresses comme le Martyre de saint Érasme, L’Empire de Flore, Orion aveugle ou encore les deux séries des Sept Sacrements, pour la première fois présentées ensemble, font alors de l’exposition un événement au succès retentissant. Conçue pour le plaisir des yeux, celle-ci se veut « sans polémique », Pierre Rosenberg ayant écarté volontairement les œuvres susceptibles de poser des problèmes d’attribution ou de datation. Organisée à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de l’artiste, l’exposition était la première de cette importance depuis celle de 1960 et a marqué le public comme les historiens de l’art.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°200 du 8 octobre 2004, avec le titre suivant : Extension du domaine de l’expo

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