Redécouverte

Verhaeren, dans l’intimité de l’art

Le Journal des Arts

Le 16 février 2016 - 646 mots

À Saint-Cloud, poésie et art interagissent dans un parcours dense et passionnant, autour de la figure oubliée d’Émile Verhaeren, chantre du néo-impressionnisme

SAINT-CLOUD - Une redingote rouge orangé, de fines lunettes, une moustache fournie, et surtout une silhouette penchée inlassablement sur son bureau, scandant sa poésie : Émile Verhaeren (1855-1916), poète et critique d’art, fut largement portraituré par ses amis peintres. Au Musée des Avelines, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), sa présence physique est partout, au regard de ses écrits et des œuvres qu’il a collectionnées ou soutenues dans ses articles. Et pour cause : « Émile Verhaeren a vécu quatorze ans sur les hauteurs de Saint-Cloud, dans un immeuble qui existe toujours aujourd’hui. C’était pour lui une manière d’être proche de Paris et de son animation, tout en profitant du calme pour recevoir ses amis », commente Emmanuelle Le Bail, commissaire de l’exposition et directrice du musée.

Il y a toujours une sorte d’excitation à redécouvrir une figure oubliée de l’historiographie, et l’exposition « Émile Verhaeren, poète et passeur d’art » n’y échappe pas. Sa poésie, longtemps apprise par cœur par des générations d’écoliers, n’a pas passé le cap du XXIe siècle au regard de l’Éducation nationale. Il reste pourtant une grande figure de la littérature en Belgique, dont il était originaire, et qui s’apprête à commémorer le centenaire de sa mort.

Saint-Cloud entendait tout autant « présenter le poète et le critique d’art, et mettre en valeur les artistes qui furent ses contemporains, belges et français à parts égales », selon la commissaire. À l’aide de cartels d’œuvres très développés, les textes font donc la part belle aux écrits de Verhaeren. La première salle est consacrée à son cabinet de travail peuplé d’objets personnels (son coupe-papier notamment, avec lequel il scandait ses vers), des portraits exécutés par ses amis peintres et, déjà, de quelques tableaux collectionnés. Un magnifique Aux Folies-Bergère (1905-1906, Archives et Musée de la lecture, Bruxelles) de Kees Van Dongen trône, charmant et guilleret, à côté d’un Portrait de Marthe Verhaeren (1899, Archives et Musée de la lecture) de Théo Van Rysselberghe, le meilleur ami du poète. Dans la salle, la voix de Verhaeren se fait entendre grâce à un enregistrement radiophonique.

« Trilogie sociale »
Dans ce parcours qui évoque les liens du poète avec les néo-impressionnistes, puis son engagement ultra-patriote pendant la Première Guerre mondiale, et enfin ses affinités symbolistes, de petits chefs-d’œuvre se glissent, signés Van Rysselberghe, Fernand Khnopff, James Ensor, Rodin ou Bourdelle. Une esquisse pour Au temps d’harmonie (1893, coll. part.) de Paul Signac côtoie un Terril de charbonnage (1896, Musée d’Ixelles) de l’artiste belge Maximilien Luce. La lumière méridionale se confronte à la belle noirceur du borinage belge. La boucle est bouclée en 1898, alors que Verhaeren achève sa « trilogie sociale » et que Les Campagnes hallucinées et Les Villes tentaculaires sont rejointes par les Aubes, version optimiste de la révolution industrielle contemplée par le poète dans les terrils belges. Les aubes semblent répondre au temps d’harmonie de Signac dans sa vision utopique.

Ses recueils sont aussi exposés, et montrent là encore l’interaction entre poésie et art : Odilon Redon réalise entre 1887 et 1891 une série de lithographies pour illustrer la « trilogie noire » de Verhaeren : Les Soirs, Les Flambeaux noirs et Les Débâcles, textes sombres et intenses sur la perte de la foi. La rencontre entre le vers libre du poète et les noirs de l’artiste frappe dans la salle dévolue au symbolisme. L’envahissement de la Belgique par l’Allemagne en 1914 laisse place à un ultrapatriotisme haineux qui le coupe de certains de ses amis. Fauché par un train en gare de Rouen, il meurt en 1916, sans avoir vu la fin du conflit. Restent les mots de l’écrivain Stefan Zweig, familier de son appartement de Saint-Cloud et biographe du poète : « Un monde tout menu pour y construire un monde immense. »

Émile VerhaeRen (1855-1916), Poète et passeur d’art

Jusqu’au 6 mars, Musée des Avelines-Musée d’art et d’histoire, 60, rue Gounod, 92210 Saint-Cloud, www.musee-saintcloud.fr, tlj sauf lundi et mardi 12h-18h, dimanche 14h-18h, entrée libre. Catalogue, 128 p., 15 €.

Légende photo
Georges Tribout, Emile Verhaeren en redingote rouge, 1907, huile sur toile, Musée Emile Verhaeren, Sint-Amands. © Musée Verhaeren, Sint-Amands.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Verhaeren, dans l’intimité de l’art

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