Art contemporain - Sculpture

Toni Grand, sculpteur « déconstructif »

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 14 février 2024 - 642 mots

Entre matières organiques et résine synthétique, près de 70 œuvres de cet artiste peu montré sont exposées au Musée Fabre.

Montpellier. Supports/Surfaces, ce groupe, considéré comme le dernier mouvement français d’avant-garde, s’est attaqué avant tout à la peinture. L’histoire de l’art moderne est surtout une histoire des mouvements picturaux, la sculpture jouant en apparence le rôle d’une simple caisse de résonance des changements plastiques imposés par les peintres. Prenant comme cible la matérialité propre de l’œuvre, les membres de Supports/Surfaces ont passé en revue tous les constituants physiques du tableau de chevalet – toile, cadre, châssis. Le seul artiste à s’être revendiqué sculpteur fut Bernard Pagès (né en 1940). Le seul, car même si Toni Grand (1935-2005) a exposé, en voisin, avec ce groupe à Nice en 1971, il s’est considéré comme un simple compagnon de route de cet éphémère regroupement artistique. Pourtant, son activité est marquée par la même volonté, celle de démystifier l’objet artistique en montrant le processus de sa fabrication. C’est surtout dans la première section de cette rétrospective placée sous le commissariat d’Olivier Kaeppelin, écrivain et critique d’art, et de Maud Marron-Wojewodzki, responsable des collections modernes au Musée Fabre, que cette influence est la plus perceptible.

Nommée astucieusement « Du bricolage sans importance », cette première section de l’exposition montpelliéraine met en scène des travaux réalisés entre 1970 et 1977 en bois, un matériau facile d’accès. Conçues avec les moyens du bord, branches, planches ou chutes de bois – pas un beau morceau de bois, pas un morceau riche avec une histoire compliquée, déclare l’artiste –, les œuvres oscillent entre l’artisanal et le poétique. Défini par Toni Grand comme une « lecture déconstructive » de la sculpture traditionnelle, son travail patient de transformation aboutit à des formes dépouillées, à l’instar de Vert, équarri, refente partielle (1970-1975). Malgré l’économie plastique qui décourage tout récit ou anecdote, les torsions et les courbes introduisent un mouvement sensuel, justifiant l’évocation par le philosophe Yves Michaud d’un « baroque retenu » (voir l’œuvre Sec, brut, débit entier – glissé-collé, 1970-1975). Notons que les titres énoncent souvent l’état du matériau et la succession des opérations effectuées.

Des œuvres métissées

Viennent ensuite les bois taillés, recouverts de résine synthétique (époxy). Ainsi, l’œuvre Sans titre (1976), soient deux bandes noires étendues au sol – chez Grand, le socle est exclu – sont en réalité deux morceaux de bois flottés « masqués » par du polyester et du graphite. Œuvre métissée, entre le dur et le mou, le naturel et l’artificiel, à la fois simple et mystérieuse. L’artiste fait appel également à l’acier, pour exécuter des travaux d’une dimension plus importante, des colonnes à l’échelle humaine (Sans titre, 1981).

Plus étranges sont les œuvres réalisées à partir de matériaux organiques et réunies sous le chapitre « Le vivant et le fossilisé ». L’utilisation des os donne lieu à des pièces spectaculaires, comme Le Cheval majeur (1985), un hommage au chef-d’œuvre sculptural de Raymond Duchamp-Villon, une masse ambrée et opaque imposante, tandis que l’introduction de poissons fossilisés, engloutis dans la matière, flirte avec le kitsch (Bois de tempête, 1999).

Les œuvres présentées dans la dernière section, dénommée « Dénaturer l’art », sont des structures de grand format, des lieux sculpturaux en quelque sorte. Réalisés à l’aide d’anguilles enrobées de résine, ces dessins dans l’espace forment des cubes ouverts. Cependant, comme toujours, Toni Grand joue avec la géométrie en y introduisant des irrégularités. Ainsi, retrouvant sa matière de prédilection, l’artiste fait tourner la sculpture sur elle-même en lui imprimant un mouvement ascendant et descendant. Les enlacements et les entrelacements, les spirales qui courent dans tous les sens, les lignes qui serpentent, forment un réseau inextricable, enchevêtré et entremêlé (Genie Superlift Advantage, 1999). Sculptures « nouées », qui échappent par leur souplesse à une forme définitive et figée. Baroque non retenu ?

Enfin, si les travaux au Musée Fabre semblent respirer, c’est que la scénographie, signée Studio Matters, est une œuvre d’art en soi.

Toni Grand, Morceaux d’une chose possible,
jusqu’au 5 mai, Musée Fabre, 39, bd Bonne-Nouvelle, 34000 Montpellier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°627 du 16 février 2024, avec le titre suivant : Toni Grand, sculpteur « déconstructif »

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