Sous la peinture un vrai « Da Vinci Code »

Par Vincent Noce · L'ŒIL

Le 22 mars 2012 - 963 mots

Une grande part des préparatifs de l’exposition s’est jouée dans le secret du laboratoire. Grâce à de nouvelles techniques, les scientifiques abordent une face cachée de la création du génie.

Difficile de trouver plus grand névrosé. Cinq siècles après sa mort, Léonard de Vinci est encore à même de rendre fous les spécialistes qui tentent de s’infiltrer dans les méandres de son cerveau. On l’a vu à Londres à la mi-janvier. À la conférence internationale organisée par la National Gallery et le réseau scientifique Charisma [les actes seront publiés par le laboratoire à la fin de l’année, un nouveau colloque étant prévu, à l’Institut national d’histoire de l’art cette fois, le 20 juin prochain], les émissaires français ont fait sensation en abordant la part secrète des compositions du maître, si bien que les trois cents participants en sont sortis avec le sentiment d’un mystère encore épaissi.

La Vierge de Londres, une copie d’atelier ?
Vincent Delieuvin, chargé de la peinture italienne au Louvre, et les équipes du laboratoire des Musées de France (le C2RMF) ont fait part des études récentes sur les deux versions de la Vierge aux rochers, de Paris et de Londres. Le dessin sous-jacent de la première s’avère « très proche » de la composition finale de la seconde, qui avait été remise à la congrégation de Milan. Comme casse-tête, cela se pose là. Les changements concernent notamment la position de l’ange qui a fait couler tant d’encre : sur le panneau du Louvre, considéré comme le plus précoce, il adoptait la même attitude que dans la version achevée de la National Gallery avant que Léonard ne lui fasse pointer le doigt vers le Baptiste et tourner la tête en direction du spectateur.

Que s’est-il passé ? On ne sait toujours pas pourquoi l’artiste a réalisé deux versions de cette œuvre, qu’il a mis des années à livrer à son commanditaire, après un long contentieux financier. Manifestement, ce n’est pas que l’Église aurait trouvé la composition trop osée. Cependant, dans le différend qui les a opposés, le peintre a fait état d’un autre acheteur possible. Les examens, qui doivent être poursuivis, sont à interpréter avec prudence, mais les deux versions en sont d’un coup rapprochées. La première apparaît plus travaillée, et la restauration de la seconde n’en masque pas les faiblesses. D’ici à envisager qu’elle ait été plus ou moins réalisée par l’atelier pour pouvoir répondre à la commande… une hypothèse, on s’en doute, fraîchement accueillie à Londres.

La méthode Vinci révélée par le C2RMF
Ainsi, après des siècles de spéculations à foison, c’est vers la science que se tourne une histoire de l’art un peu déboussolée. Cette recherche, dans laquelle le laboratoire parisien est en pointe, se fonde notamment sur la réflectographie infrarouge, mise au point depuis une quarantaine d’années, qui permet de révéler les dessins sous-jacents exécutés au fusain, à la pointe de métal ou avec certaines encres. Cette méthode a fait un bond grâce à la manipulation des filtres et à la numérisation des données, les caméras entrant de plus en plus profondément dans les images.
Il suffit de comparer le résultat obtenu il y a trois ans avec la caméra Osiris sur la star de l’exposition du Louvre, La Vierge à l’Enfant en compagnie de sainte Anne, avec une première vue datant de 1990 : ce qui était donné à voir était tellement médiocre qu’il était impossible de lire le dessin sous-jacent, pourtant très riche. « Nous atteignons une autre partie du visible », résume Bruno Mottin, un des meilleurs spécialistes de ces examens, qui opère au laboratoire, sous le Louvre. Même s’il insiste sur la nécessité de compléter ces images, qui ne rendent pas visibles les tracés à la sanguine, à la craie ou à l’encre de noix, surtout concernant un artiste comme Léonard qui multipliait les matériaux.

Les secrets de la Sainte Anne du Louvre dévoilés
Depuis 2004, c’est l’ensemble de la collection Vinci du Louvre, la plus riche au monde, qui est passée au crible. Ces recherches illustrent le mode de construction très complexe des compositions de Léonard. Il traçait un dessin d’une main légère, effleurant les traits du visage, ajoutant les ombres, accordant beaucoup de soin au contour des yeux (on sait l’importance symbolique qu’il accordait au regard, assimilé à une fenêtre de l’âme), avant de réaliser un modelé. « Il travaille beaucoup les ombres, reprend Bruno Mottin, tout comme les reflets, ce sont des sujets qui le passionnent. » Dès ses premières lignes et jusqu’à ses dernières couches de glacis et de sfumato, il partait en quête de cette image fondue et voilée qui fit sa renommée, cherchant à rendre palpable l’atmosphère qui allait nimber sa composition finale.
Sur une grande surface de la Sainte Anne, on a retrouvé des points de spolvero [le dessin préparatoire sur une feuille de papier était reporté en pointillé sur le panneau en tamponnant de la poudre de charbon à travers des petits trous percés le long des lignes], laissant supposer que le peintre avait réalisé un carton pour l’ensemble. Mais Vinci, cet éternel insatisfait, a beaucoup remanié cette composition initiale, refaisant le paysage, abandonnant au passage ce qui ressemble à un village, pour imaginer ce relief d’un bleu glacé, évoquant l’incréé du monde. Il a essayé différentes positions pour le voile de la mère de la Vierge, repris le contour du pied et de la tête à la plume, déplacé l’agneau qui, au départ, posait sa patte sur le pied de Marie.

Il est revenu à la pierre noire, a brossé une couche de lapis-lazuli, réalisé son ébauche au lavis, relavé le tout en noir. Des années plus tard, il a repris son tableau, tout en laissant des zones inachevées. Il changeait constamment d’avis, entrecroisant dessin et peinture, jetant les bases d’une œuvre si précieuse et inquiète.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Sous la peinture un vrai « Da Vinci Code »

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