Renovatio Romae

Philadelphie reconsidère la place de Rome au XVIIIe siècle

Le Journal des Arts

Le 31 mars 2000 - 752 mots

La Ville éternelle était au XVIIIe siècle la capitale culturelle et artistique de l’Europe, tel est le postulat de l’exposition du Philadelphia Museum of Art. 380 œuvres viennent soutenir cette démonstration et contester la domination de Paris et Londres, dans une invitation à rompre avec les mentalités nationales.

PHILADELPHIE (de notre correspondant) - Malgré son déclin économique et artistique déjà amorcé, Rome continuait d’attirer des communautés d’artistes et les aristocrates anglais effectuant leur Grand Tour. Rien encore ne concurrençait l’attrait de ses ruines antiques, de ses monuments de la Renaissance et du Baroque, de ses Raphaël, et l’initiation romaine demeurait la base indispensable à la formation d’un goût sûr et convenable. L’histoire de l’art traditionnelle situe la Rome du XVIIIe derrière  la France et la Grande-Bretagne, et ses artistes après Fragonard, Watteau, Hogarth et Gainsborough. Comparé au Baroque du XVIIe siècle, l’art romain du siècle suivant paraît une simple redondance décadente, comme le laisse entendre le terme “barocchetto”. En outre, Rome a toujours été éclipsée par Venise et ses célèbres védutistes. Les 380 tableaux, sculptures, œuvres d’arts décoratifs et maquettes de monuments d’architecture des 160 artistes réunis dans l’exposition s’efforcent de démentir ce point de vue. Elle présente le XVIIIe romain comme une période digne d’études et souligne son rôle de centre cosmopolite où des artistes aussi différents qu’Anton Mengs, Fragonard, Hubert Robert, David ou Angelica Kauffman bénéficiaient de la culture classique et d’un mécénat religieux et civil.

Joseph Rishel, conservateur en chef des Peintures et Sculptures européennes avant 1900 au musée de Philadelphie, co-commissaire de l’exposition, en définit le dessein : “L’Amérique, le Royaume-Uni et l’Europe ont négligé l’importance de la Rome du XVIIIe siècle comme centre culturel et capitale artistique”. Leur attitude résultait de préjugés anti-catholiques, ainsi que du rejet moderniste de l’académisme. “Le XXe siècle a décrit le XVIIIe comme un phénomène français. Et Paris est effectivement devenu la capitale artistique de l’Europe au XIXe siècle, mais avec cette conséquence que la France s’est accaparé le siècle précédent, déclarant que le siècle des Lumières et la Révolution avaient posé les bases du modernisme, qui débute avec Le serment des Horaces de David”. Il souligne avec insistance l’influence de Rome sur des peintres comme David, dont la rencontre avec la tradition classique romaine a donné naissance au Néoclassicisme français. “David est essentiellement un produit romain. L’un des buts de cette exposition est de rompre avec une mentalité nationale. Comme New York l’a été au XXe siècle, Rome était un centre cosmopolite où les acteurs locaux étaient rares. Piranèse, originaire de Venise, était aussi étranger à Rome que David, qui arrivait de France.”

L’Italie des affiches touristiques
Parmi les œuvres exposées, figurent des vedute de Piranèse, des portraits de gentilshommes lors de leur Grand Tour par Batoni, des Maratti de la grande manière et des sculptures de Canova. Mais le visiteur pourra aussi réévaluer des peintres comme Marco Benefial, personnage peu conventionnel dans le style du Courbet des années 1730, et Giuseppe Cades, tous deux célèbres à leur époque. S’ouvrant avec un choix de vedute de Pannini et se poursuivant par une section retraçant l’évolution de l’architecture, du baroque classique à la théâtralité des escaliers de la place d’Espagne et de la fontaine de Trevi, l’exposition cherche à démontrer combien le XVIIIe siècle a façonné l’Italie des affiches touristiques. Les autres sections sont consacrées aux arts décoratifs, aux commandes ecclésiastiques, aux portraits de la société artistique romaine, à un choix de pièces présentées aux concours d’entrée à l’Accademia di San Luca et à un ensemble de gravures de Piranèse. À côté d’exemples de mobilier palatial, sont exposées des peintures de Chiari, Luti, Bianchi et Batoni, dans une atmosphère récréant celle du palazzo Colonna. Selon Joseph Rishel, l’art romain du XVIIIe siècle ne se limite pas à des références à Raphaël et à l’Antiquité. Le terme de “Classicisme” ne rend compte ni des Prisons imaginaires de Piranèse, ni des scènes de meurtre de Füssli. Il ajoute que les notions de “Rococo” et de “Romantisme” ont été définies par les Français. Mais il observe une autre qualité, “d’élévation, de discrétion et de retenue, qui évite la rhétorique napoléonienne, cet élément très vif, très proche de la nature. Dans une scène d’église particulièrement inspirée, il y aura par exemple un enfant de chœur dont le regard fixe croisera celui du spectateur.”

- LA SPLENDEUR DE ROME AU XVIIIe SIÈCLE, jusqu’au 28 mai, Philadelphia Museum of Art, 26th Street & Benjamin Franklin Parkway, Philadelphie, tél. 1 215 763 8100, www.philamuseum.org., tlj sauf lundi 10h-17h, mercredi 10h-20h45

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Renovatio Romae

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