Paris-8e

Réjouissante plongée dans la lagune

Grand Palais - Jusqu’au 21 janvier 2019

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 30 octobre 2018 - 561 mots

À l’automne 2012, le Grand Palais avait suscité la controverse en confiant les clefs de ses galeries nationales au metteur en scène Robert Carsen.

La scénographie extrêmement spectaculaire conçue par ce dernier pour l’exposition « Bohèmes » avait alors profondément divisé la critique autant que le public. Un camp louant le caractère immersif et incarné de son parti pris ; l’autre fustigeant un décor tape-à-l’œil reléguant les œuvres au rang de bibelots. Cette expérience n’a apparemment pas refroidi les responsables du Grand Palais, puisqu’ils donnent à nouveau carte blanche à une personnalité issue du spectacle vivant pour orchestrer une exposition événement, évoquant les arts et la vie à Venise au XVIIIe siècle. Grand bien leur en a pris ! Le parcours imaginé par Macha Makeïeff réussit en effet là où celui de Carsen avait échoué. La metteuse en scène, qui s’est fait un nom avec des spectacles populaires et décalés, sublime en effet les œuvres et les objets d’art par des décors et des dispositifs originaux qui ne prennent jamais le dessus sur le contenu. Très vivant et rythmé, ce parcours part du postulat que la Sérénissime est elle-même un théâtre et qu’il faut l’exposer tel quel pour faire ressentir l’exubérance et la créativité de cette cité sans pareille qui émerveilla le monde. L’agencement même des salles rappelle d’ailleurs subtilement l’aménagement singulier de la ville composée d’un dédale de ruelles et de places. Véritable plongée dans la lagune, l’exposition a le grand mérite de mettre en lumière une époque mal connue, et souvent mal aimée du public, et de la traiter avec fantaisie et sans morgue, ce qui est hélas rarement le cas pour présenter l’art ancien. L’atmosphère chamarrée et raffinée traduit également parfaitement l’ambiance de la cité des Doges, qui s’étourdit alors dans une fête permanente et qui brille de tous ses feux pendant quelques décennies avant la chute de la mythique République à l’extrême fin du siècle. Loin d’être une exposition fleuve, qui se voudrait un panorama exhaustif de ce moment de grâce, le parcours est une sorte de déambulation poétique et joyeuse reposant sur la réunion pertinente de pièces choisies et élégamment mises en scène, et ménageant des effets de surprise : par exemple, en introduisant des animaux naturalisés et des cabinets de curiosités, ou en proposant au visiteur de s’essayer au « mondo nuovo », une attraction optique à l’époque très prisée des Vénitiens. Tous les maîtres sont au rendez-vous : Tiepolo et Piazzetta pour la peinture, Canaletto et Guardi pour la veduta, Corradini pour la sculpture, et les ateliers de Murano pour le verre. Seul regret, la musique, joliment évoquée dans une petite salle feutrée, aurait pu être plus prégnante dans le reste du circuit tant elle est incontournable dans la patrie de Vivaldi et de Farinelli. Malgré sa dimension pluridisciplinaire affirmée, et bienvenue, l’exposition fait toutefois la part belle à la peinture. À côté des grandes signatures, le visiteur peut aussi découvrir des peintres majeurs, mais aujourd’hui nettement moins célèbres que leurs contemporains, comme Pellegrini. Ce dernier est particulièrement bien représenté grâce à de remarquables prêts, dont une belle paire de tableaux d’histoire conservés à Soissons. Outre les musées français, les institutions internationales ont aussi largement joué le jeu en se départant temporairement de quelques-uns de leurs chefs-d’œuvre, permettant de réunir un corpus fort et cohérent qui fait revivre les derniers feux de cette société bouillonnante et toujours fascinante.

« Éblouissante Venise. Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècle »,
Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, Paris-8e, www.grandpalais.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : Réjouissante plongée dans la lagune

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